Écritures à la petite semaine #12
Rentrée J+8 : que du bonheur.
Mardi 2 septembre, 21h52.
J’aime tant ces jours de rentrée. Avant, c’est parfois l’angoisse la plus totale. Mais quand ça commence, quand enfin je suis devant la classe : je les regarde et ils me regardent. Je sais tout de suite qui va me gonfler ou m’attendrir [1]. Pas une question de profil, mais d’attitude. Il y a des gamins extrêmement chiants que j’aime beaucoup, et des silencieux que je déteste. Je n’apprécie ni l’arrogance ni le manque de personnalité, mais j’adore les curieux, les « un-peu-provoc’-mais-pas-trop » qui testent le terrain, les fragiles, les timides, les grandes gueules et les bizarres. Tu vois vite si ce sont des gens bien (c’est-à-dire gentils) ou pas.
Bref, j’ai rencontré trois classes sur cinq et je suis contente.
J’ai pas de temps ou d’énergie encore pour ajouter des choses à mes routines. Me lever deux heures en avance plutôt qu’une et demie, c’est beaucoup, déjà, en termes de bien-être comme de contrainte. On va déjà essayer d’entériner ça.
Mercredi 3 septembre, 21h51.
À la rentrée, t’es encore dans le domaine du projet. T’as de l’énergie, alors tes convictions restent intactes. C’est de ça qu’il faudra se souvenir, plus tard. De ce que la rigueur peut générer d’apaisement. Je me rends compte que je cherche un peu ça, quand je rêve à une vie monacale : ce n’est pas tant la solitude qui m’attire – quoiqu’en partie, évidemment -, que la régularité et la satisfaction des tâches accomplies au moment idoine.
Cette année, je multiplie les plannings et les listes. Parfois, les informations se répètent sur plusieurs supports, tandis que d’autres, ce journal par exemple, s’en trouvent épurés. Ça me rassure beaucoup. Ma motivation s’en trouve décuplée car je commence à entrevoir comment emboîter les différentes tâches à effectuer avec celles que j’ai envie d’accomplir.
Cette semaine est celle des ajustements. De choses que je n’ai pas faites pour le moment (lire le soir, et ce n’est pas grave) et d’autres qui se trouvent déplacées, pour cause d’imprévu ou parce que c’était finalement plus pratique. Mais tout est fait à un moment ou à un autre, même mes tentatives de méditation qui se sont soldées par un endormissement prématuré. J’ai trouvé ces derniers jours lisses, dans le sens où ils étaient dénués de ces rugosités, de ces aspérités qui d’ordinaire viennent gripper mon quotidien. Ça fait du bien.
Vendredi 5 septembre.
Tu sais, j’suis hyper fière de moi, et pas pour une raison dont je devrais être fière. C’est la première fois de ma vie que je joue le jeu. J’ai été hypocrite, et honnête à la fois. Comme la personne en face de moi. J’ai su naviguer dans ce brouillard que sont les relations sociales non codifiées pour moi, puisque non encore vécues. J’ai su, parce que je me suis appuyée sur les conseils des personnes qui étaient d’accord avec moi, et plus encore de celle qui l’était ET qui bénéficiait du statut nécessaire pour me convaincre. J’étais donc légitimée. Mais j’ai aussi su le faire parce que, pour la première fois de ma vie, j’ai abandonné ma terreur d’être méjugée. J’ai accepté de l’être par certains [2], et d’être adoubée par d’autres – qui potentiellement me méjugent aussi, mais, puisque ça va dans mon sens… J’ai pris un certain plaisir à cette courte joute. Ce que ça dit de moi n’est pas reluisant. Et pourtant, quelle victoire. Pour la première fois, je ne me suis senti ni piétinée ni vulnérable. J’ai compris comment ça fonctionnait.
Dimanche 7 septembre, 22h38.
Je crois que ça y est, ça fonctionne : l’énergie retrouvée. Ça ne dépend pas que de moi, bien sûr. Je me rends compte que je dois être attentive aux symptômes, car l’année dernière, l’anémie s’est installée sans que je m’en aperçoive.
Mais justement, je le suis, attentive, et de ce fait beaucoup plus calme. Je ne me contente plus de puiser, j’ai appris à entretenir.
Je bois plus d’eau, même si toujours pas assez. La maison est propre [3], rangée et aérée. Je me lève plus tôt, je m’octroie davantage de temps « utile », utile à moi, s’entend, pas forcément productif, quoique le résultat soit bien un regain d’activité.
Je n’écris plus les rituels ici, certains encore, ailleurs, mais pas dans le détail : ça y est, ils sont ancrés. Quelques ajustements à faire, quelques gestes plus récents à pérenniser, mais globalement, le présent s’installe.
Le présent. J’arrive à vivre là, maintenant, et pas hier ni demain
(vivre hier et demain, c’est vivre chacun deux fois, mais ça n’allonge pas le temps pour autant.)
Lundi 8 septembre, 22h07.
La méditation d’aujourd’hui portait sur les façons de réinventer ses routines. Ça m’a fait sourire : il n’y a pas longtemps, la régularité du quotidien me rebutait, et j’aurais trouvé ridicules les solutions proposées. Aujourd’hui, je me suis récriée : ah non, alors ! Pas question d’introduire du changement dans des habitudes que j’ai mis si longtemps à acquérir et qui me font autant de bien !
Au téléphone, Eliness me dit envier ma tranquillité d’esprit actuelle, notamment parce que je fais preuve d’une parfaite zénitude devant la perspective de l’agreg’. Mais l’agreg’, c’est rien. Je veux dire, c’est énorme, mais c’est un défi de moi à moi. Il n’y a d’autre enjeu que mon égo. La seule chose qui me préoccupe vraiment, c’est de préserver l’équilibre intérieur que je suis parvenue à trouver.
Mardi 9 septembre.
Les mardis vont être éprouvants. N’empêche que j’ai passé une excellente journée. Elles le sont toutes, depuis une semaine, c’est un peu dingue, parce qu’elles sont remplies de choses que je déteste : des heures « vides » et d’autres bien trop intenses, genre déjeuners sur le pouce ou aide aux devoirs avec des élèves que je ne connais pas et qui viennent en dilettantes. Je dispose apparemment d’un stock d’énergie illimité – je sais qu’il ne l’est pas, mais je n’en ai jamais eu autant, alors je savoure. Et je l’entretiens, rassure-toi :)
21h35.
Learning when to fight and when to surrender.
C’est quelque chose que je savais, parce qu’on me l’avait dit, mais – je crois l’avoir déjà reconnu ailleurs – savoir et comprendre sont deux choses différentes.
Je pense que c’est la première fois de ma vie que je dépose les armes librement et consciemment.
C’est paradoxal, puisque c’est une chose que l’on fait quand on n’a pas d’autre choix, en tout cas on devrait. Pourtant, il y avait toujours une résistance en moi, une longue habitude de la lutte, d’autant plus absurde qu’elle visait un résultat similaire : me conformer à ce que je ne pouvais changer.
Similaire, mais pas identique : à présent je me conforme moins que je ne m’adapte. Les mots sont peut-être mal choisis. Disons que je fais autant avec ce qui est qu’avec ce que je suis. Là où ça grippait dans les rouages, là où ça faisait mal, j’ai mis de l’huile. Je ne me brise plus en mille morceaux pour que ça passe, en espérant trouver assez de colle à la sortie pour me recomposer. J’ai trouvé comment changer de forme, un peu – sans me trahir -, et des outils pour desserrer les roues crantées qui arrachaient ma chair et malaxaient mes pensées.
Il faut que je reprenne rendez-vous chez la psy, juste pour la remercier. Si « Accepter » était mon verbe guide avant qu’elle ne me le suggère, c’est elle qui, en grande partie, m’a appris comment faire.
[1] : l’honnêteté m’oblige à avouer que certain(e)s me surprennent dans les jours qui suivent.
[2] : ça fait huit jours par exemple que V, à l’accueil, me fait la gueule. Eh bien soit. Je ne l’ai pas mérité. Her loss :D ^^
[3] : je fais le ménage une fois par semaine hein, je suis pas une souillon. Mais là, c’est vraiment nickel chrome, même dans les coins :P