Écritures à la petite semaine #14
Des peurs, de la colère, un peu, de la gratitude, tout de même.
L’idée cette fois c’était de tourner autour de l’anxiété, de tenter de l’apprivoiser en observant ses mécanismes et en la situant dans ses contextes. Ça restait des « écritures à la petite semaine », mais avec un fil rouge – qui ne m’est apparu qu’a posteriori.
Le problème, c’est cet après coup. Je ne me suis pas inquiétée des prémices, les pensant anecdotiques, et je n’ai pas vu que ma vieille copine Angoisse arborait une expression de plus en plus étrange. À bien la regarder, maintenant, je serais tentée de dire qu’elle est possédée : elle est erratique, furibonde, tout à fait terrifiante.
Depuis que nous sommes rentrés de Toulouse, mercredi, j’essaie de poser des mots sur une page blanche, autant pour décrire que circonscrire – une description c’est toujours une sorte de formule d’emprisonnement. Je n’y arrive pas. Les termes sonnent creux, il n’y a en eux ni pouvoir d’évocation ni éclaircissement ; et c’est sans doute ce qui me fait le plus peur. J’ai lancé une fusée de détresse, mais si quelqu’un répond à mon appel, je serais incapable d’expliquer ce qui m’arrive. Et je suis si habituée à arborer un masque (c’est moins pour paraître quoi que ce soit que pour enfermer à l’intérieur ce qui m’habite, car si cela déborde de moi, je crois que cela me vaincra), que personne ne verra rien. On me posera les questions habituelles et on m’opposera la réponse habituelle : « vous avez l’air d’aller bien ». Sous-entendu, si vous n’alliez pas bien, vous ne parviendriez pas à avoir l’air.
4 octobre
Vertige de plein fouet dans la file d’attente à la caisse. Sans signe avant-coureur mais violent comme une gifle. J’ai peur de tomber et de casser les bouteilles, je les pose dans un chariot parce que Ubik a les mains prises et je sors en trombe. Je prends un Xanax parce qu’on a d’autres magasins à faire, mais les allées carrelées à perte de vue et l’absence de lumière naturelle, à Carrefour, ont davantage de pouvoir que l’alprazolam. Pourtant, on est à « l’heure des autistes » : l’éclairage est réduit et les haut-parleurs sont éteints.
La caissière prend pour elle mon impatience devant la cliente qui paie en utilisant ONZE bons d’achats, et comme il y en a trop, le logiciel n’en veut pas. Je ne peux pas lui dire que je m’agrippe au meuble derrière moi pour ne pas tomber, mais j’aimerais bien qu’elle s’en rende compte toute seule. Elle a sûrement ses propres soucis, mais aujourd’hui, je m’en fous.
6 octobre
Rêve : ma sœur et moi sommes assises dans un hangar et nous discutons, je suppose. À un moment, elle se lève brusquement de sa chaise et s’éloigne en courant, puis elle revient sans trop s’approcher, rigolarde, et me dit « Excuse-moi, mais t’as un truc sur ta jambe ! »
Je regarde et me rends compte que sur mon mollet dénudé se trouve un lézard. Bleu (comme il me semble avoir déjà rêvé d’un serpent bleu lui aussi, ce cobalt saisissant me paraît avoir son importance.)
Je me crispe totalement, je fais tout ce que je peux pour ne pas hurler-gesticuler-balancer la pauvre bestiole au loin.
Après je ne sais plus trop, il semblerait qu’ « on » l’ait tuée, et le cadavre ne ressemble plus du tout au lézard d’origine, qui à part sa couleur était un joli petit lézard normal. Là c’est un truc trois fois plus gros, tout flasque – en écrivant la seule chose qui me vienne à l’esprit c’est qu’on dirait une grosse bite (mais une bite cobalt, donc) et je ne sais pas du tout quoi faire de cette image. J’ai toujours pensé que Freud racontait n’importe quoi, mais ça ne m’empêche pas d’aller lire ce que Tristan Moir a à en dire : c’est ma version perso du tirage de carte. Ici le lézard, et là le bleu.
De ce deuxième lien je confirme que le serpent d’avant était bleu, parce que je me souviens avoir déjà sourcillé devant ces trois phrases : « [Le bleu] n’est, à notre connaissance, jamais ressenti de façon négative » et « Le bleu très foncé, comme le bleu nuit, est très rare en rêve. Pour une personne âgée c’est le sentiment d’une fin de vie qui a été riche et bien remplie, et l’approche de la mort ressentie sans angoisse ». Je ne suis pas une personne âgée, enfin je ne crois pas, et je doute FOOORT que l’approche de la mort se fasse sans angoisse, me concernant.
7 octobre, 19h53
Savoir que c’est un moment où il faudrait lâcher, complètement lâcher, mais je ne suis pas prête. Si je vais me coucher à vingt heures, le mardi sera définitivement un jour qui existe à peine. Je ne suis pas d’accord. J’ai tenu, tenu, toute la journée, avec ces étudiants qui me demandent de ne plus exister, parce que si j’existais face à la plupart d’entre eux, je deviendrais folle. Eux et moi, on ne vit simplement pas dans le même monde, et le leur me fait froid dans le dos. Il me met en colère. Alors je n’existe plus, davantage pour me préserver que pour leur permettre à eux d’exister, je dois avouer.
Donc ce soir, j’écoute ma playlist Cyborg Attack/Amduscia/Agonoize, sobrement sous-titrée : « soupape post sociabilisation/bruit/rencontres/vertiges/travail », en buvant une bière. Je crois qu’après il n’y aura ni étirements, ni lecture ni journal, juste une méditation, les yeux fermés et déjà blottie sous la couette, et puis extinction des feux.
Couchée à 21h max, je peux pas faire mieux. Je n’ai toujours pas lancé le dernier épisode d’Empathie, exprès pour être sûre d’éteindre de bonne heure.
8 octobre
Je me suis couchée avant 21h, j’avais donc plus de 9h de sommeil devant moi, mais au final j’ai passé une des pires nuits de ma vie (oui, parfaitement), j’ai dormi moins de sept heures, j’ai dû changer de chambre (le drama des riches) parce que monsieur n’arrêtait pas de me réveiller, et ce soir je suis une telle pile électrique que j’écoute ça puis le Live in Bratislava de Jean-Michel Jarre.
J’ai épuisé toute mon énergie, désormais je vis sur des résidus électriques au comportement erratique. Je le sais parce que les conversations multiples me drainent, et que ça se voit. C’est pas que je peux pas suivre, c’est que ça me vide, comme si je fuyais par tous les pores. Ma collègue Martine m’adresse des signes depuis l’autre côté de l’assemblée de sièges à Kerbutun, pour vérifier que je vais bien (première fois de ma vie que je côtoie des gens qui voient, par ailleurs. C’est assez fou, et réconfortant.) Je le sais aussi parce qu’apparemment c’est acté, ça ne s’était plus produit depuis plus d’un an, pas avec cette intensité en tout cas, mais je vertige de nouveau dans les files d’attente, et pas qu’un peu. Assez pour rouvrir l’annuaire EMDR France.
9 octobre
Petit malaise ce matin, rien de grave mais une certaine frustration d’être ENCORE la fille fragile qui ne tient pas debout.
12 octobre
Après avoir passé la soirée d’hier à tenter de dessiner la carte de mes rêves avec chatGPT, je fais un double rêve contenant deux éléments récurrents : d’abord des crocodiles, ensuite une autoroute dont je ne parviens pas à sortir. Je suis perdue, je repasse sans cesse par la même boucle, je ne comprends pas la signalisation au sol et je change de voie au mépris de la plus élémentaire prudence, de peur d’aller trop loin, comme si toute erreur était définitive, sans demi-tour possible.
16 octobre
Je rêve que nous sommes agrippés au sommet d’un piton rocheux, face à un paysage magnifique, une luxuriance de fleurs et de couleurs. Le vertige me tétanise et là, Ubik ronfle et me réveille. J’ai eu l’impression d’avoir perdu prise. Me rendormir a été compliqué.
Je reçois le mail de Babelio pour me proposer de participer au Grand Prix du Romanesque, qui avec le concours des éditions Charleston, J’ai Lu et Ouest-France, se propose de « montrer la richesse des femmes dans la littérature française et leurs voix dans un monde encore trop masculin. Le Grand Prix du Romanesque vient couronner un projet qui permet d’installer le roman féminin comme un genre de premier plan. »
Notons déjà le sous-titre suivant « vous rêvez d’être publié-e ? » Ah donc on peut être un mec et tenter sa chance, très bien.
La suite : « Pour concourir, il vous faudra présenter une œuvre de fiction dans la lignée des publications Charleston : une histoire de littérature générale avec une héroïne au caractère fort, fier et libre. »
Ah ouais donc être féministe, écrire les femmes, c’est écrire des portraits « forts, fiers et libres ». Surtout ne parlons pas des femmes timides, des femmes faibles, des femmes soumises, ça ferait mauvais genre.
Quel putain de cliché.
Ça me fait gerber.
Les conseils de mi-période en cinquième ont donné une sacré amplitude horaire à ma journée : levée 6h, rentrée chez moi à 19h30. Je suis rincée, j’ai pas du tout envie d’être raisonnable et j’oscille entre une certaine joie, parce que j’ai appris ce soir des choses importantes, qui renouvellent ma volonté de faire ce que je fais, d’exercer mon métier du mieux que je peux, et un sentiment de culpabilité, parce que les collègues avec qui j’ai discuté, tous profs principaux, sont au bout du rouleau, psychiquement. Moi je conserve une certaine énergie parce que je ne me mouille pas. Je refuse de m’impliquer au-delà de mon cours de français. Je refuse catégoriquement d’être prof principale depuis que je suis titulaire. Je ne sais pas le faire. Je ne sais pas parler aux gens, je ne sais pas les codes, les attentes, la psychologie. Je n’ai jamais considéré les parents comme des alliés ou des partenaires. Je comprends que ce soit scandaleux, ce sont leurs mômes dont on parle. Mais moins je les vois, mieux je me porte, et j’ai envie de dire : mieux se porte ma relation avec leur enfant. Certes, les parents voient et savent des choses que je ne peux pas concevoir. Mais la réciproque est vraie aussi, et ça ils l’entendent rarement. Alors je me repose sur les collègues PP, qui font l’interface et rapportent des propos parfois éclairants de parents, tout du moins des propos perturbants en ce qu’ils disent un invisible pour nous. Je pense à M, puisque les mots « pensées suicidaires » et « harcèlement » ont été prononcés et que nous n’avons rien, mais alors rien vu du tout. On doit le savoir et l’entendre. Il faut bien quelqu’un pour nous le dire. Il faut aussi pourtant se fonder sur nos propres impressions, qui sont, pour mes collègues qui connaissaient déjà cet enfant l’année dernière : plus souriant, bien plus bavard, participe, blague. Pour moi qui le découvre : élément moteur, humour fin, ado en construction. Il y a peut-être une part des traumas parentaux qui planent sur lui, tandis qu’il se reconstruit.
Ou L. : ça prend un prof principal, ou une directrice, pour savoir que les parents s’en sont « déchargés » en la foutant à l’internat pour ne pas avoir à se préoccuper d’elle. Cette information m’est capitale pour interpréter sa propension à la mythomanie et au drama, sa volonté farouche d’être la star de sa propre vie. Je n’en avais pas besoin dans le sens où ce genre de comportement ne me perturbe ni ne m’interroge – pas par manque d’intérêt, mais au contraire parce que je sais combien la vie est bien plus complexe que la « normalité » de bon aloi que nous servent les fictions américaines. Disons que connaître le contexte fait avancer mon curseur plus vite, je mets moins de temps à saisir comment je vais tenter d’approcher cette petite. Ça m’a permis de mettre le doigt sur une cause probable et d’être plus précise. Mais franchement, en avais-je besoin pour comprendre qu’elle est fragile et perdue ? Non. Et parfois, je me dis que c’est bien, aussi, que le collège soit une possible safe place dans laquelle les problèmes de la maison n’existent pas.
C’est inextricable, la nasse dans laquelle je viens de me fourrer avec cette affirmation. Moi, quand j’étais collégienne, je voulais que les adultes sachent ce que je vivais à la maison. Et si j’ai tenté de le dire, il y a des gosses qui en sont incapables. Tu vas me dire, ce ne sont pas ceux-là dont les parents nous sont d’une quelconque aide, donc après tout ça ne change pas grand-chose. Alors j’essaie, dans la mesure du possible, de ne rien projeter. J’ai en face de moi des enfants, des personnes, qui pour certains veulent s’échapper de leur quotidien et trouvent dans l’école un lieu neutre où ils peuvent se réinventer. J’en ai des qui vont très bien, et d’autres qui ne veulent pas être autres, mais être écoutés. J’essaie d’écouter ce qu’ils souhaitent dire sans chercher à savoir ce qu’ils veulent taire, et c’est peut-être un tort. Mais… je ne suis pas psy, ni pionne, ni infirmière, ni intervenante extérieure, je suis prof de français. Et parfois, je me dis que ce qu’ils veulent taire, ils veulent me le taire à moi, parce que je ne suis pas la bonne personne. Et ce n’est pas me dédouaner de leur souffrance que de l’admettre.
J’essaie de faire en sorte que mon cours soit cette safe place pour tout le monde. Je ne suis pas très douée pour montrer que je suis quelqu’un de confiance, à qui ils pourraient dire ce qui leur fait mal. Peut-être ne le suis-je pas du tout, quelqu’un de confiance, je veux dire. Je ne sais pas. Mais c’est moi que ça ennuie. Et ça ne m’ennuie que parce que j’ai, comme un certain nombre de collègues, ceux qui publient en tout cas (pas tellement mes « vrais » collègues, je crois), un putain de complexe messianique (c’est totalement la faute du Cercle des Poètes Disparus et nous le savons tous :D)
Bref. À moins qu’ils jouent très bien la comédie, il me semble que mes élèves se sentent à peu près bien dans ma classe, et quand ce n’est pas le cas, je crois que mon rôle se borne à leur dire que je l’ai remarqué, que je mettrai tout en œuvre pour que cela change et que cela peut passer, si le cœur leur en dit, par une conversation.
17 octobre
Qu’est-ce que ça m’agace, le retour de la polémique Stéphane Marsan sur Bluesky… Il y a vingt ans, Marsan se baladait en festoche au bras d’une demoiselle de vingt ans sa cadette et dragouillait les jeunes femmes (je le sais, j’y étais, et la demoiselle en question était une amie à moi.) Aucun des messieurs présents ne s’en offusquait. Aucun ne nous a mises en garde, en nous rappelant gentiment, peut-être, que sans que ce soit grave, Marsan bénéficiait d’une aura, en tant qu’éditeur, à laquelle nous étions sensibles en tant que jeunes littéraires en quête de reconnaissance. Il ne nous a pas agressées (nous étions consentantes) mais il y avait néanmoins un déséquilibre, pas de l’ordre de l’emprise, puisque c’était le temps d’une soirée, mais quelque chose de pas tout à fait correct. LD, qui reposte en boucle toutes les réactions dégoûtées des gens qui ont découvert que Marsan était impliqué chez l’éditeur Elder Craft, n’a jamais sourcillé, et fréquentait Marsan assidument sur le festival (les Uto, si vous voulez tout savoir.) Et maintenant tous ces gens se font les chantres outragés de la morale.
Mais si tout ça paraissait totalement normal à l’époque, pour les hommes comme pour nous, les midinettes, peut-on réellement affirmer que Marsan avait conscience que ce n’était pas correct ? Qui peut mettre sa main à brûler que jamais, au grand jamais, il n’aurait fait pareil que lui, dans un monde où c’était considéré comme moralement admissible ? Le féminisme n’est pas une affaire de personnes mais de système.
Et je me demande bien ce qu’ils veulent, au fond, tous ces gens bien propres sur eux. Marsan mérite-t-il de finir au chômage et dans la plus stricte solitude parce qu’il a mis des mains au cul ? À un moment, faudrait penser à conserver la juste proportion entre les faits et la sentence. Il a dû quitter Bragelonne, il est persona non grata partout, il a encore le droit d’exister.
En tout cas, je pense que tous ces pères-et-mères-la-morale se sont réveillés bien tard, et qu’elle est facile, leur position. C’est facile d’ouvrir sa gueule après que quelques courageuses l’aient fait, pour les « soutenir ». Ç’aurait été encore mieux d’éviter à ces femmes d’avoir à le faire.
21h40. Décibels à 53 dans les oreilles (ce ne sont pas des décibels et ça ne correspond à rien : c’est ce qu’affiche le volume sonore de mon casque. En tout cas, je ne monte jamais plus haut, je crois.) J’écoute mon « top songs 2022 » sur Spotify, dont le podium est accaparé par Rising Insane, Nachtblut et Agonoize, imméditament suivis par, hem, Gigi D’Agostino, Agonoize (même titre, différente version) et Cyborg Attack.
J’ai beaucoup écouté Cyborg Attack ces deux dernières semaines, mais ce soir j’ai le droit d’imploser : je suis en vacances. Je VOIS des murs tomber à l’intérieur de moi. C’est toute ma gestuelle qui se délie tandis que je cheffe-d’orchestre en pogotant devant mon écran.
Avant-hier au fond de moi la mer avait disparu, il y avait une grève infinie, une falaise et un ruisseau sinueux. Ma vue ne portait pas loin, aussi je voyais juste le coude qu’il formait et je pouvais deviner qu’à le suivre je trouverais l’océan, mais je ne peux pas bouger quand je médite, j’arrive juste quelque part.
En relisant Et des frissons d’elles, je me rappelle un moment du conseil de classe des 5A. C’était hier mais c’est déjà flou. Il me semble que Stéphanie a dit d’une élève qu’il était logique qu’elle cherche l’exclusivité dans ses relations, puisque son univers familial était totalement insécure. Ça m’a… étonnée. En mode : « ah, c’est pour ça, tu crois, que je faisais ça ? »
Je ne sais pas si c’est « la » réponse, mais elle résonne, et ça me rassure de penser qu’il existe quelqu’un qui, à rebours, rassure la petite fille que j’étais en lui disant qu’elle est « normale ». Avec tous les guillemets possibles : je suis trop vieille désormais pour avoir la moindre envie de devenir « normale ». Pas trop vieille dans le sens où ce serait impossible, trop vieille dans le sens où je me sens légitime à ne plus jamais le vouloir. Mais la ptite Nath, elle apprécie.
Et ça fait sens. Un de mes pires souvenirs, c’est quand Julia a commencé à s’intéresser pour de bon aux garçons. Quand elle a commencé à ne plus se soucier de me dire où elle était, parce que ça ne me regardait pas, j’imagine. Quand j’ai découvert qu’elle était à la bibliothèque avec Dimitri, alors que je l’attendais au lycée, j’ai complètement vrillé. Je ne me suis jamais senti abandonnée par mes parents. Mais par Ju…
Julia est la personne à qui j’ai tendu mes poignets massacrés pour lui prouver que je souffrais de mes comportements comme des siens. Tu mesures l’ampleur du chantage affectif. Mais je ne savais pas comment faire autrement. Je n’avais aucun autre moyen d’exprimer l’abîme qui me traversait (cet abîme est mon cœur !) Je hurlais, et personne ne m’entendait. Quand bien même on m’aurait entendue, j’aurais été incapable d’expliquer pourquoi je hurlais. Tu comprends pourquoi je ressens une certaine proximité avec L. et ses dramas mis en scène (même si je l’ai envoyée chier ce matin, je l’avoue. Son amie m’a avertie qu’elle faisait une « crise d’angoisse » et j’ai répondu qu’elles commençaient à me saouler avec leurs histoires. Deux minutes plus tard, L. sortait de la classe en sautillant et bavardant, et je sais, je sais que j’aurais dû essayer de comprendre pourquoi ce cirque. Je ne l’ai pas fait.)
Tu crois qu’à force de chercher et rater les gens, j’ai fini par les prendre en grippe ? Mon cerveau, en tout cas, a décidé qu’ils faisaient partie d’un problème. Je vertige quand ils s’accumulent autour de moi. Dans une file d’attente, par exemple. Ou en MCO, les jours où j’ai peur de ne pas arriver à échanger avec les étudiants. Je tombe brutalement en arrière (dans ma tête. En vrai, je ne dois pas bouger d’un cheveu).
22 octobre
Retour de Toulouse.
Qu’est-ce qu’elle a, Angoisse, en ce moment, putain ?
La dernière fois que j’ai paniqué comme ça, c’était le jour de la rentrée, il y a deux ans.
*
Des mots impossibles. Des monts à franchir.
Des démons affranchis – à cause des maux impassibles.
Les courses sont faites – marché au soleil, entre deux averses ; à Inter je croise S. et je prends la mesure de ma chance juste à observer l’épuisement dans son regard.
Je n’ai plus qu’à refermer la porte, m’enfouir sous un plaid ou, si Angoisse se pointe avec son nouveau et effrayant sourire, cuisiner une tarte aux pommes, m’occuper du linge et câliner le chat en écoutant des podcasts. À défaut d’aller bien, savourer d’avoir la possibilité de sombrer – un luxe pour lequel je suis immensément reconnaissante.

