Les griffes de la nuit
« Mon amour pour l’horreur vient donc de ce que j’ai décidé d’aimer la peur plutôt que de la subir. »
Alt236
Écrire n’est pas nécessairement enjoliver. En revanche, et c’est là une antinomie qui me semble abyssale, c’est forcément réinventer. J’écris pour me souvenir. Mais écrire demande du temps. Il m’arrive de raturer une phrase dix fois, et raturer dix fois signifie se repasser le souvenir autant de fois, pour trouver la syntaxe parfaite, celle dont le rythme et les sonorités feront jaillir les images qu’on espère le plus précises possible dans l’esprit du lecteur. Or, se remémorer, c’est se mentir*. Écrire, c’est donc trahir.
Je possède plus de souvenirs de mon enfance et de mon adolescence que beaucoup de mes proches, parce que je les ai écrits. Je leur accorde une relative confiance, parce qu’il me semble qu’à cet âge-là j’ancrais les événements au fur et à mesure qu’ils arrivaient, dans un but plus exutoire que mémoriel. Mais je dois bien admettre que l’âge et Angoisse aidant, j’aime de plus en plus à me promener dans ma mémoire et que ce faisant, je réarrange selon toute vraisemblance les bibelots animant ma bibliothèque intérieure, afin qu’ils dessinent un parcours cohérent.
Quand j’ai vu cette vidéo d’Alt236, j’ai comme d’habitude été subjuguée par sa voix et les visuels qui illustraient cette nouvelle balade onirique. Ses créations font vibrer en moi une corde ancienne, un arc-boutant que je me figure primordial. J’ai l’impression qu’Alt236 s’adresse à moi, en ce que j’ai de plus fondateur, de plus primitif, aussi. Comme une sensation de voir extirpées de mes profondeurs des visions, des émotions trop fondamentales pour être parées de mots.
Il y a là quelque chose d’apaisant et de mortifère. D’abord à me rendre compte qu’écoutant autrui c’est moi que je contemple. Aussi parce qu’à arpenter les mêmes sentiers, j’ai peur paradoxalement de m’y perdre. Et pourtant… Il y a là une route que je brûle d’explorer. Peut-être parce qu’on est à soi-même un continent de ruines perpétuellement oubliées, et que les redécouvrir c’est se rencontrer. Sans doute aussi parce que, forte de la conviction qu’on existe moins qu’on ne s’invente, je ne sais plus d’autre moyen de donner du sens.
Toujours est-il qu’Alt m’a donné envie d’aller chercher à mon tour autour de quelles échardes ma matière grise s’était développée. Je suis fascinée par ces anecdotes qui nous dessinent et nous asservissent sans même qu’on ait conscience, sur le moment, de l’importance qu’elles auront. De ces micro-événements que la plupart d’entre nous oublierons, tandis que certains les saisiront de toutes leurs forces, comme si sans eux nulle raison d’être ne pouvait affleurer.
La vidéo d’Alt236 est consacrée aux « sources de l’angoisse », aux origines de ses vertiges fictionnels, et c’est bien là que j’ai envie d’aller fouiller. Ne sommes-nous façonnés que par nos peurs ? Pourquoi ni Alt ni moi, ni ma sœur qui comme moi a eu envie d’explorer la Faille après avoir vu cette vidéo, ne consacrons de « contenus » à nos moments heureux ? Je ne peux que me plier à ma propre évidence : Angoisse m’est bien plus chère et inspirante que le bonheur.
Enfance
L’homme aux serpents
J’ai cinq, six, huit ans ? Je ne parviens pas à m’en souvenir, et s’il est un épisode de mon enfance dont je doute parfois qu’il a bien eu lieu, c’est celui-là.
Maman m’a emmenée chez le photographe chez qui elle fait développer ses pellicules. C’est une boutique étroite, moquettée de gris, qui ouvre sur la rue principale de Rambouillet. L’attente est longue. Il y a une télévision, dans laquelle on voit un homme assis en tailleur sous un arbre. Il a l’air serein. Et puis des serpents commencent à lui tomber dessus, et l’homme ne bouge pas. Il est bientôt recouvert d’une nasse grouillante et mobile, ça siffle, ça suinte le long de son corps immobile. Je ne parviens pas à détacher les yeux de l’écran, j’y suis comme contrainte, harponnée par un sentiment de dégoût et pourtant captivée en égale proportion. L’homme sous les serpents me répugne par son manque de réaction, comme si ça révélait en lui une perversion malsaine, une anormalité qui me glace et me fascine à la fois.
Je regardais beaucoup de reportages animaliers quand j’étais petite et je me souviens d’un documentaire où l’on voyait un nid de serpents. Je me rappelle avoir ressenti un immense dégoût, assorti d’une angoisse sourde liés à la quantité de ces créatures et à la manière, molle et fluide, dont elles s’entremêlaient. Les serpents ne me font pas « peur », pas comme les requins par exemple, mais ils provoquent en moi une violente aversion dont je suis incapable d’expliquer l’origine.
L’inquiétante beauté des abysses
J’ai toujours adoré la mer, je crois, parce qu’elle fait partie de mon environnement – je passais mes étés avec ma sœur et mes cousins à Sanary-sur-Mer, chez ma mamie, avant de vivre en Bretagne, et mes parents nous ont montré Le monde du silence et pas mal d’autres films du Commandant Cousteau – et parce que je suis une personne contemplative. « Contemplative », c’est le mot-clef : je n’irais, pour rien au monde, m’y perdre. Je ne plonge pas, je ne navigue pas… J’ai peur de la noyade parce que c’est la mort violente qu’il me semble imaginer le mieux. J’ai peur des bestioles étrangères qui pullulent sous la surface. Je suis persuadée que leur monde et le nôtre ne sont pas faits pour se croiser. C’est peut-être en partie inspiré par Le Grand Bleu, dont j’ai détesté le héros – étranger, autant que peut l’être un Alien – ou un personnage de Camus.
Pourtant l’attirance teintée d’inquiétude que m’inspirent les tréfonds ne vient pas de là, mais d’un film que je suppose bien plus innocent.
Ce passage me file des suées et une bonne tachycardie.
La foule abêtie, l’empathie un peu benête des parents, plus tournée vers leur gamin que vers l’incroyable créature prise au piège, la panique (ou la fureur ?) de l’orque immense prisonnière d’un bassin à taille humaine, m’ont profondément marquée. Plus que tout, je me souviens des gosses frappant sur la vitre de l’aquarium, et du sentiment de claustrophobie que j’ai ressenti. C’est la seule scène du film dont je me rappelle, en dehors de l’iconique dernière scène (mon dieu, j’ai 37 ans et ça me fait toujours chialer.)
Je ne sais plus ce qui, en premier, a résonné en moi. Je sais en revanche que j’en ai gardé un amour un peu dingue pour les orques, qui me terrifient parce qu’elles sont des prédatrices (beaucoup trop) efficaces et intelligentes, et m’émerveillent pour les mêmes raisons. Il y a souvent des orques dans mes rêves et mes cauchemars. Sauvez Willy a marqué mon enfance en m’apprenant qu’on pouvait aimer ce qui nous effrayait, et en ce sens c’est l’anecdote la plus pertinente de cet article.
Une silhouette dans la nuit
Quand j’étais petite, la nuit, il régnait dans ma chambre le genre d’obscurité qui dessine des trucs avec les ombres. Dès qu’il y avait du vent, ma cheminée, qui était rembourrée de journaux, craquait de toutes parts.
Au seuil de la nuit, quand je m’endormais, une silhouette se dessinait sur ma chaise de bureau : un petit bonhomme avec une cape. Je finissais souvent par allumer la lumière, pour découvrir un tas de fringues. Il n’empêche que, des années plus tard, j’ai évoqué le sujet lors d’un repas de famille. Sans que nous nous concertions, ma sœur a alors employé exactement la même expression que moi. Elle aussi, avait reçu la visite du Petit Bonhomme avec une Cape…
Les morts et les survivants
À ce sujet, deux anecdotes : Dorothée, une fille de ma classe, m’a invitée à dormir chez elle. Outre que ça a été une des deux occasions enfantines dont je me souvienne où j’ai « dépersonnalisé », ce qui suffirait à en faire un « chapitre » à part entière dans ce billet, je me rappelle que ma mère m’avait expliqué que le père et le frère de Dorothée étaient morts (noyés, d’où, sans doute… voir plus haut.) Il y avait une piscine où je les ai imaginés flotter (pensant à la chanson d’Adjani), et je n’ai aucun souvenir de la mère de ma copine, comme si, à huit ou neuf ans, nous avions passé la soirée seules. Dorothée, ce soir-là, m’a hurlé dessus parce que je ne passais pas trois minutes à me brosser les dents, et parce que je n’utilisais pas le bidet… Je ne sais pas pourquoi ça m’a autant marquée.
Quelques années plus tard (? – Pas beaucoup, je lui avais offert un « petit Poney » qui l’avait enchantée) je vais dormir chez Caroline. Plus exactement, nous allons dans une vieille maison de famille. Sa maman me montre mon lit, dans une chambre que je partage avec Caro. Au moment de nous coucher, elle… eh bien je ne sais pas trop, puisque c’est mon deuxième épisode de dépersonnalisation, mais je la revois littéralement suspendue à la massive armoire en bois, tâtonnant à la recherche d’un grand couteau qui se trouvait au-dessus et me couvrant d’imprécations parce que j’étais installée dans le lit où son grand-père était mort. Moi, comme une conne (d’à peine dix ans et pas en pleine possession de moi-même hein, je reprécise histoire de pas me flageller plus que de raison), je lui oppose que c’est sa mère qui m’a assigné ce lit (j’avais un VRAI problème avec l’autorité, genre elle me terrifiait.) Caroline brandit le couteau et me dit qu’elle va se suicider si je ne change pas de lit. Honnêtement, je n’ai aucune idée de la manière dont ça s’est fini, même si je crois avoir changé de plumard, parce que, euh…
Adolescence
La femme en feu
D’abord, je dois revenir sur la maison que nous habitions.
Dans l’écriture de ce billet, s’ensuivent vingt minutes d’errance bouleversée sur Google Street View. Conclusion : je ne te montrerai pas ma maison d’enfance parce que les propriétaires suivants en ont fait, en façade tout du moins (mais je ne vois pas comment le reste ne pourrait pas être à l’avenant) un pavillon richard et propret, là où j’habitais dans une grande maison, certes, mais couverte de vigne vierge et avec un portail ROUGE et pas vert comme toutes ses voisines. Je conserve cette note apparemment sans rapport avec le sujet parce que le changement, quand il me concerne directement, me terrifie, de toute évidence. Peut-être que c’est pour ça que – c’est le sujet que j’allais aborder – j’étais si effrayée par le vent, quand j’étais gamine. À la moindre tempête, je restais éveillée, derrière mes rideaux roses brodés d’hippopotames, et j’écoutais avec anxiété. Parfois, je me levais, pour vérifier autant que possible, derrière les persiennes des volets vermoulus, si la petite maison en tissu dans laquelle nous nous réfugiions ne s’était pas envolée définitivement.
Donc, bref, la maison. Deux choses, en sus, à son propos : on y entendait les gens marcher dans la bâtisse mitoyenne, et elle disposait d’un grenier où avaient été entreposées, entre autres, les affaires de mon grand-père paternel. De son vivant, il était prof de bio : parmi lesdites affaires, se trouvaient un bocal contenant un serpent dans du formol, et une collection de papillons et de scarabées épinglés que j’ai fini par descendre pour les stocker dans la petite pièce sous l’escalier, qui donnait dans ma chambre et d’où surgissait, nécessairement, le Petit Bonhomme avec une Cape.
Quand j’avais douze ou treize ans, ma copine Clémentine, « best friend forever » à l’époque, est venue dormir à la maison. D’abord, on a été à Carrefour, où on a tenté de piquer des trucs. On s’est fait choper par les agents de sécurité, qui, je m’en suis rendu compte ensuite, nous ont fait du chantage**. Désemparées et mal à l’aise, on est rentrées à la maison et on a essayé de retrouver l’entrain qui présidait à notre escapade.
Il y avait des bruits, dont je ne souhaite pas te parler, qui provenaient de l’étage de mes parents, la nuit. Je ne voulais pas non plus que mes amies les entendent. Aussi (?) j’aimais bien détourner leur attention. Le serpent dans le formol semblait une première étape tout indiquée. Après quoi, je savais que ça fonctionnerait sur Clémentine, il y avait un Larousse dont je ne retrouve nulle trace sur le web***, qui traitait de trucs inexpliqués. Je me souviens de l’histoire de la nana qu’on avait aperçue à deux endroits en même temps, et d’une combustion spontanée. De cette dernière, je ne me rappelle aucun détail, en revanche elle avait terrifié Clémentine. Dans le monde cohérent rassemblé par ma mémoire, on n’est pas resté copines longtemps, après cette soirée. Clem ne parvenait pas à dormir, je me suis (un peu ?!) moqué d’elle, et la culpabilité liée à notre tentative de vol a fait le reste.
Le rapport avec le sujet ? Un bouquin qui m’a fourni toutes les légendes dont pouvait se nourrir mon esprit enfantin, et quelques anxiétés déconstruites après coup : les adultes peuvent te nuire ; tu feras ce qui est en ton pouvoir pour éloigner autrui de l’intimité de ta famille.
Accouchements
Petite, je passais mon temps à la bibliothèque. Il y avait une salle dans laquelle on pouvait voir des documentaires animaliers, ça ressemblait à un amphithéâtre miniature, et c’est là que j’ai assisté à la mise bas d’une biche.
Quelques années plus tard, avant d’aller prendre ma douche, je suis tombée sur un reportage de France 5, je pense. J’y ai vu une meuf en train d’accoucher, de face. Genre les jambes ouvertes avec une tête en train de poindre. Je me souviens seulement de la sensation de chaleur qui précède l’évanouissement, tandis que je me lavais en essayant d’effacer les images de ma mémoire. À mon avis, cet épisode est déterminant dans ma volonté de ne pas vouloir d’enfants. Il m’a fort bien préparée à Alien 4 (regarde pas si t’as pas vu Alien 4, ni surtout si t’es pas vraiment d’humeur à observer un monstre agonisant dans d’atroces souffrances tant psychiques que physiques.) Voilàààà. *Écoute de la musique joyeuse pour s’en remettre* Cette scène, j’étais en quatrième quand je l’ai vue, et je pense pas avoir eu besoin d’Alien 1 pour enfoncer le clou.
Hurlements
C’est sans doute plus par souci de symétrie que je me rappelle ici les cris. Bonimenteurs de fête foraine, manifestants ou élèves braillant dans les couloirs, j’ai du mal à les supporter si tant est que je ne suis pas au milieu. Parce que si je n’y suis pas, je ne sais pas ce qui se passe, et si je ne sais pas ce qui se passe, il pourrait arriver un truc grave. Je ne sais pas bien d’où me vient cette conviction puisque si je me trouve au milieu de deux personnes, mettons, qui s’engueulent, je serais bien en peine de les séparer. Si c’étaient mes parents, j’exciterais la rage de l’un à l’encontre de l’autre. Parce que ça me donne l’impression d’être en contrôle ? Je n’en sais strictement rien. Je suis juste à peu près sûre que ça me vient d’eux, et de là mon angoisse des bruits, chuchotés ou beuglés, que je ne vois pas. Autant te dire que les films d’horreur trouvent en moi une bonne cliente.
Regan et Krueger
Impossible d’évoquer les origines de la peur et de la fascination sans passer par L’Exorciste et Les griffes de la nuit. J’ai vu le premier sans doute un peu trop jeune, mais pour le second, j’avais quatorze ou quinze ans. Je me demande après coup si la terreur que j’ai ressentie ne pourrait pas être mise en rapport avec le fait qu’en bonne ado au seuil de la dépression, le sommeil m’apparaissait comme une échappatoire, et qu’une horreur comme Freddy venait donc s’attaquer à ce que j’avais de plus précieux.
Je suis quelqu’un d’impressionnable, et je pense avoir reporté une partie de mes angoisses bien réelles dans l’imaginaire, ne serait-ce que pour pouvoir m’en amuser. Est-ce que ça explique que Freddy m’ait marquée au point de me retrouver perplexe, dix ans plus tard, parce que toutes les scènes qui m’avaient paru si longues à force de me terrifier s’avéraient courtes et plus caustiques qu’effrayantes ?
Une des scènes dont je me souviens le mieux n’est même pas dans Les griffes de la nuit. C’est quand la mère d’un gamin qui vient de passer dans le monde du croque-mitaine via son matelas (déjà, brrr) reçoit un coup de fil de Freddy, et que la langue de ce dernier sort du combiné pour venir lécher le visage de la meuf. C’était tellement libidineux… Il y avait cette intrusion du cauchemar dans la vie éveillée, et la sensation glaçante d’être touchée contre son gré par un organe intime. Quelque chose du même ordre que les serpents qui tombent sur le mec placide.
Quelque chose qui me poursuit et dont je ne sais pas si Freddy est l’origine ou le révélateur, mais ça ne change pas grand-chose pour l’adulte que je suis. Regan, de son côté, était possédée, mais surtout dépossédée d’elle-même, et l’un dans l’autre on se retrouve avec du familier devenu autre. J’avais dans les onze-douze ans quand j’ai vu L’Exorciste, et la scène du matelas m’a terrorisée (y’avait pas la spider walk, à l’époque, hein, zut.)
Adulescence
« Prise de contrôle »****
Ici, trois anecdotes. Les deux premières révèlent plus que les autres de mon intimité, mais ce billet ne serait ni complet ni honnête sans elles.
1. Quand j’ai commencé à sortir avec lui, Ubik était… destroy. Son cynisme faisait plus que flirter avec le désespoir. Je me souviens donc de deux choses : d’abord qu’il me semblait toujours sur le point de m’abandonner. Il m’avait draguée en mode romantique, une fois ensemble il m’a parfois traitée comme si… il s’attendait à ce que moi je l’abandonne. Il m’a souvent rappelé ce moment où Julia et moi avons commencé à… nous scinder. L’impression de hurler derrière une plaque de verre insonorisée. Ensuite, il y a eu la fois où il l’a jouée Exorciste style, et je t’assure qu’il est très doué pour mimer la brusquerie anormale d’une tête qui se tourne, et l’expression maléfique qui va avec. J’en parle ici parce que j’ai longtemps été hantée par des cauchemars dans lesquels mes proches me tournaient le dos ou m’ignoraient comme si j’avais fait quelque chose de mal et sans que je puisse comprendre quoi. Et parce que Ubik à ce moment-là de sa vie pouvait ressembler à Jack Torrence. L’imprévisibilité et la violence peuvent me faire freezer, et je trouve que cette anecdote a sa place à côté de celles concernant Dorothée et Caroline.
2. Mon père se tient au seuil de ma chambre et m’annonce que c’est fini, qu’il n’en peut plus. Il va mettre en ordre ses papiers et se tirer une balle.
3. Repas en famille dans la véranda. Il fait nuit, nous nous reflétons sur les vitres. Un coup, un genre de toc-toc-toc, retentit. Tout le monde sursaute. « C’était quoi ? » On ne voit rien, dehors. Un deuxième coup semble asséné à quelques centimètres. Frangine balise sévère, papa a l’air ébranlé mais conserve son flegme rationaliste, je ne sais pas sur quel pied danser et maman essaie de rester ce qu’elle est : une mère, qui devrait être prête à courir pour sauver ses mômes (mais ne peut pas.) Au troisième toc, l’hystérie nous a gagnés, enfin, sauf mon père, qu’aujourd’hui je soupçonne d’avoir eu la trouille mais d’avoir en même temps été agacé devant l’irrationalité du truc. Maloriel et moi avions en tête un paquet de films de psychopathe, je pense, enfin c’était mon cas. On ne pouvait pas voir dehors, bordel.
Aucune idée de ce qui s’est réellement passé. J’avoue que j’aime bien ce souvenir, enfin après coup hein (hahaha…) Ça m’est rarement arrivé d’être confrontée à un truc inexplicable, et j’en ai besoin. Mon existence cartésienne se marie mal avec mon désir d’au-delà.
Maintenant
J’ai discuté du contenu de ce billet avec Maloriel. Enfin, de son contenu théorique, car nous nous sommes promis de ne pas nous le divulguer, pour ne pas nous influencer. Il me semble qu’elle a évoqué dans le sien des événements ou des œuvres ayant façonné son imaginaire de manière générale. Je choisis de m’en tenir à l’angoisse car les « vertiges fictionnels » que j’évoquais en introduction rendraient ce billet beaucoup trop long – je pourrais notamment consacrer un article entier aux Chevaliers du Zodiac…
Mes peurs d’adulte, j’entends par là mes peurs nouvelles, toutes celles dont je viens de parler étant ancrées en moi, sont bien plus sensées. Elles ne me sont pas propres. J’aimerais finir sur quelque chose qui me bouleverse pas mal ces derniers temps : ces moments où tu réalises que la peur… est partie. Que ce truc qui te dévorait les entrailles est trépassé. Ça reste là à gésir au fond de toi (gésir, oui, parfaitement :D), ça pèse encore un âne mort et tu sais pas trop quoi en faire, mais c’est parti.
J’ai beaucoup rêvé de ma mère, ces trois derniers mois. Et pas une seule fois c’était glauque. Ça l’était dans les détails familiers sur lesquels je ne m’appesantirai pas, mais pas dans mon ressenti. Chaque fois, j’étais… je sais pas, apaisée ?
Je ne tiens pas spécialement à me débarrasser de mes peurs, je vais pas te répéter à quel point j’aime à me raconter, à m’édifier, dans tous les sens du terme. Mais celle-là… C’était une putain de sangsue. La pire peur, de là où je me tiens, c’est celle qui te vole quelque chose. Celle-là m’a privée de ma mère pendant des décennies. Je garde les orques et les serpents, mais toi, Maladie, tu peux bien aller te faire foutre.
Et pour rappel, la frangine a raconté ses propres vertiges ici.
Notes
* « De récentes études l’affirment : si notre mémoire nous joue des tours, ce n’est pas par défaillance, mais pour conforter notre personnalité ! Car ainsi se tisse un lien entre notre « moi d’hier » et notre « moi d’aujourd’hui… » Source : Marie-Catherine Mérat et Clara Dufour pour Science & Vie. (…) non seulement nous ne pouvons pas tout garder en mémoire mais, en plus, nous avons tendance à déformer nos souvenirs pour qu’ils se plient à nos besoins autobiographiques. Source : Martial Van der Linden interviewé par R.G pour Le Temps.
** « Si vous payez le double du prix de ce que vous avez volé, on n’appelle pas la police »… Ils m’ont aussi dit que « ça se voyait que j’avais l’habitude de faire ça » vu que je ne pleurais pas. Girls, un conseil : cry. Apparemment, c’est une excellente porte de sortie.
*** Mais enfin, je l’ai encore à la maison ! Je te le montrerai à l’occasion.
**** J’ai trouvé aucune vidéo, mais les aficionados de Mass Effect verront peut-être à quoi je fais référence :)
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[…] sûr, ceux d’Haruki Murakami courent le long de ma colonne vertébrale. Ils me font penser à l’homme sous les serpents. Je suis la femme sous les […]