Errances [Pseudo-miscellanées de mars-avril]
Va y avoir du racontage de vie.
Deux mois de miscellanées à rattraper. J’ai rarement eu autant l’impression que le temps s’étirait. Mars, c’est déjà à des années-lumière. La majeure partie d’avril aussi. Il faut dire que ça fait un mois que je n’ai pas été au taf ! Et je n’y retournerai pas avant trois semaines… Dénuée de repères quotidiens, la vie se déploie anarchiquement, donne donc l’impression de se rétracter. Quatre semaines sans écrire, parce que quatre semaines où, écartelée aux quatre vents, j’ai lutté pour conserver un semblant de consistance. Victoire. De ces instants où il fallait s’immobiliser au milieu d’une tourmente à laquelle je n’ai jamais su s’il fallait se soumettre ou résister, je suis sortie par deux fois, peut-être pas indemne, mais triomphante, à des degrés divers mais pas anecdotiques. Point de bravade dans mes propos, même si de la fierté, oui.
Le 5 avril, je suis partie à Paris, en train. J’avais imaginé une petite chambre cosy, où je pourrais me rassembler entre deux épisodes de formation. Rêverie de plouc : pour ce prix-là à Montparnasse, t’as une cambuse. Je n’arrivais pas à trancher entre l’enthousiasme et la fatigue, quand, arrimée au croisement du boulevard Edgar Quinet et de la rue de la Gaité, je regardais défiler ces flots de gens qui s’échouaient sur les terrasses ou allaient se terrer dans les théâtres. Certains occupaient certainement les places dévolues à une madame de Nucingen et un Rastignac, aux Italiens.
Du 6 au 8, je participais donc à une formation pour me préparer à l’oral du CAPES interne. J’ai d’abord écrit « j’assistais », c’est à moitié vrai. Je m’étais promis de tenter l’exercice – deux heures trente de prépa, quarante minutes de présentation – et je l’ai fait. J’ai tenu vingt minutes et récolté les compliments de mes collègues, un peu moins de la prof, qui, dans son compte rendu écrit, a noté des « et alors ?? » et souligné des trucs en rouge. Qu’importe, j’étais satisfaite, parce que je voulais me rendre compte de ce que j’étais capable de donner. À part cette fois-là, j’ai pas foutu grand-chose, alors que le programme était particulièrement intense. Pas faute de le vouloir, et ça m’a d’ailleurs valu une sortie en plein milieu d’après-midi, durant laquelle j’ai finalement été rejointe par un collègue avec qui m’offusquer de mes blocages : il était sublime, ce groupement de textes. Tellement que j’ai séché devant, alors que j’aurais dû m’y révéler. Nous avons donc chouiné devant notre incapacité à désosser et partager nos sidérations.
Nous avons déjeuné à trois ou quinze dans des resto hors de prix, quartier Saint-Germain. J’ai dîné deux fois avec Léonie chez un Thaï qu’elle avait adoré. Je n’ai plus de nouvelles, dommage, j’étais heureuse que ce soit elle qui loge à deux pas de « chez moi. »
À mon retour, c’était la première semaine de vacances, que j’ai pas trop mal organisée, entre révisions et entretien de la maison. J’ai oublié d’aller chez le médecin.
Le 18, je me suis envolée à Lyon. Enfin, je dis ça comme si c’était évident. J’avais beaucoup trop bu la veille et m’étais couchée bien trop tard, incapable semble-t-il d’affronter le stress – comme c’est commode. J’ai pris la route en direction de l’aéroport de Brest à 7h du mat’, avec une belle de gueule de bois ou pas assez d’heures de sommeil, comme tu préfères. J’ai allumé ma première clope à 7h30 et gardé la fenêtre ouverte pour pas m’endormir (ou m’évanouir.) Oui, mais : sur Océane, ils ont diffusé Juste quelqu’un de bien. Et ça, tu vois, ça n’arrive jamais. C’est une chanson à Maman. Une chanson que j’ai jamais entendue ailleurs que dans le salon orange, et à ses obsèques. Le fantôme de ma mère ne s’est certes pas pointé dans les locaux d’une radio locale pour suggérer ce choix, mais j’en ai pas démordu : c’était un signe. Elle était là, et j’ai souri.
Après quoi j’ai pris l’avion, et un paquet d’inspirations. Au décollage j’ai toujours un peu envie de pleurer, parce que c’est insensé, la puissance que ça nécessite, ça a quelque chose de sublime, en plus d’être absolument terrifiant. Pas de trous d’air, merci, ô hasard.
À 17h, avait lieu la harangue traditionnelle à destination de la « noria » fraîchement débarquée pour cette xième journée de concours. J’ai eu plaisir à y retrouver des collègues de formation, et à apprendre que j’étais convoquée à 12h45 le lendemain – ouf, les premiers devaient se ramener à 6h10. Pour m’y rendre, j’ai fini par prendre un taxi qui m’a coûté 20 balles pour un quart d’heure de course, mais j’ai eu droit au chauffeur de série télé qui s’est pas trop moqué de mon inexpérience (« bonjour ! Je… peux monter ? C’est la première fois que je prends le taxi… Vous avez un terminal, pour le paiement ? ») et qui m’a rassurée tout du long. « C’est quoi votre prénom ? Moi c’est Habib. Je peux vous appeler Nathalie ? Vous avez un mari ? Qu’est-ce qu’il en pense ? Évidemment qu’il vous fait confiance, vous aussi vous devriez, il a raison, vous allez y arriver. Je reviens vous chercher si vous voulez. Vous voulez un chewing-gum ? Tenez, ça va vous déstresser. Elles sont magnifiques, vos bottes. Allez, vous êtes parfaite, vous êtes prête, tout va bien se passer. »
Le 19, j’ai pris le bus puis le métro, consumé deux cigarettes d’affilée, avalé deux cachetons aux plantes, me suis assise parfaitement calme pour découvrir quatre extraits de Jacques le Fataliste, m’apercevoir que malgré toutes mes révisions sur le 18e, je ne savais rien de Diderot, enfin échouer à monter une séquence cohérente pendant le temps imparti. Pas de tâche finale formulée, donc pas de fil directeur, une étude linéaire menée tambour battant, sans conclusion ni circonvolutions, tant pis, je bricole un prolongement possible, j’ancre tout ça dans une progression annuelle, je me lance sans filet devant le jury. Trente minutes plus tard, je sors, pas mécontente d’avoir grapillé dix minutes sur le temps tenu en formation, puis j’y retourne, pour m’effondrer sur une question de grammaire pas compliquée mais à laquelle je réponds n’importe quoi, quelles que soient les perches tendues par l’examinatrice. Je sors de là au bout des quarante minutes imparties, lessivée, mais tellement soulagée. Je repense à Lucie, qui m’a envoyé un message pendant que je me rendais au centre d’examen : « Bonjour madame, J’ai cru comprendre que vous aviez votre concours aujourd’hui alors je voulais vous souhaiter bon courage ! Bonne journée, Lucie 2c. »
C’est tout ce qui compte. C’est tout ce qui compte, bordel, même si ça va me faire bien chier de revenir à la rentrée, et de dire à Lucie « j’ai échoué. »
Je rentre chez moi le 20, décollage 8h45, c’est beaucoup trop tôt, je déteste me lever, alors en vacances ! Mais tout le stress est derrière moi. Je planifie tout ce que je devrai réviser ou apprendre pour retenter le concours l’année prochaine.
Le 21 au soir, je vais me coucher, tard certes, mais tranquille. Vers 4h du mat’, je change de plumard pour pas réveiller Ubik, parce que je me sens hyper mal. Puis je passe la pire nuit de ma vie. J’ai déjà eu plus mal, la nuit à l’hosto où j’avais trop de fièvre pour comprendre ce qui m’arrivait – en même temps, personne n’avait jugé bon de me dire que je faisais une embolie pulmonaire. Mais là, j’ai pas de fièvre, juste une douleur à se damner. Je gerbe, je geins, je dors à peine. Ubik me retrouve en pleurs le lendemain matin. Rendez-vous en urgence chez le médecin, à 17h30. Une demi-heure de retard, cinq minutes de consultation, « vous avez fait la fête, hier ? », je récupère un laxatif, un pansement gastrique et une ordonnance pour une prise de sang le lendemain. « Vous m’appelez lundi, on discutera des résultats. » Les résultats, je les récupère à 14h, le samedi 23 : les taux de leucocytes et de protéine c réactive sont tellement élevés par rapport à la norme que je me fends d’une consultation en ligne sur Qare (meilleur service ever, j’ai obtenu un rendez-vous dans les vingt minutes.) « 20 000 ??! Il faut aller aux urgences, madame. »
L’urgentiste a l’air compatissant. Je l’entends dire aux infirmières que ça va se finir au bloc.
L’intervention est programmée pour le soir-même. « Appendicite à la limite de la péritonite », me dit-on. À 21h je crois, devant les portes de la salle d’opération, l’anesthésiste m’interroge sur mes traitements en cours. Elle n’a noté que le X de « Xarelto » sur sa fiche. Elle a appelé illico le chirurgien et s’en est suivie une conversation que je trouve surréaliste, en mode « C’est vous le chef, mais enfin, du Xarelto ! Si elle saigne, je ne suis pas magicienne hein, j’ai que du plasma. » Euh… Eh bien si par hasard on me demande mon avis, j’aimerais autant ne pas prendre de risque inconsidéré… Finalement, j’ai été opérée le lendemain matin, vers 10h. Pas super envie de me remémorer l’endormissement, j’aurais préféré que ça soit comme dans les films, « comptez lentement de 10 à 1 » ; moi l’infirmier m’a maintenu le masque sur la bouche en me répétant « respirez profondément », sauf que j’avais pas le temps d’expirer qu’il m’enjoignait à inspirer.
Puis je me suis réveillée, et je te passe les détails parce qu’on a tous eu des moments pas marrants dans nos vies. En revanche, je m’appesantirai sur cet instrument de torture qu’est le Redon. Enfin, je m’appesantirai… Non, j’ai pas l’intention de me plaindre ni de te dégoûter. Juste, après avoir sangloté pendant trois quarts d’heure le troisième jour, alors que le chirurgien effaré me répétait « mais, on peut pas l’enlever, c’est pour votre bien ! », j’ai réussi à formuler calmement ceci : imaginez, vous êtes arachnophobe, et partout où votre regard se porte, il y a des araignées. Ben moi, c’est pareil avec les tuyaux qui vous sortent du corps.
J’en ai fait des cauchemars, de ce tuyau plein de sang et de scories, que je devais me trimballer chaque fois que je me levais. De ça, et du goût du bouillon. J’en ai encore des relents dans la gorge. Ubik me fait à bouffer, et j’ingurgite deux fois plus qu’avant d’entrer à l’hôpital. MAIS.
Lundi 25, Ubik m’appelle et me dit : « Claire B. s’inquiète pour toi, elle n’arrête pas d’envoyer des messages et elle a tenté de t’appeler. Elle a dit un truc genre je suis trop contente pour toi.
– Comment ça, elle est trop contente ? Elle dit quoi, exactement ?
– Bah chais pas, elle te félicite.
– Euh… Ça, mon amour, ça voudrait dire que j’ai eu le concours. C’est la seule raison que Claire aurait de me féliciter, c’est une collègue de formation. »
J’ai envoyé Ubik se renseigner, en mode « t’allumes mon ordi… OK… Là tu tapes publi, ça devrait suffire à ouvrir la bonne adresse… Mon numéro devrait être rentré automatiquement… Oh my god. »
Je me suis repassé ma prestation en boucle. Juste après le concours, je l’avais fait aussi, à me réveiller la nuit limite à crier « c’était un COD !! » Là, j’ai cherché à comprendre où le jury avait trouvé des points. J’ai toujours pas compris, mais on s’en fout complètement : j’ai réussi. J’ai eu le concours. J’ai eu 15 !!!
Je suis sortie de l’hôpital avant-hier et le chirurgien m’a arrêtée jusqu’au 19 mai. Je suis soulagée parce qu’autant j’aurais préféré retrouver mes élèves que passer six jours dans un lit étranger, à me faire poinçonner de partout, autant là je me sens fatiguée et à mille lieues de mon travail, pour lequel j’ai évidemment pris beaucoup de retard. En plus, tous les matins, une infirmière vient m’injecter un anticoagulant, à 7h. SEPT heures ! Je t’ai déjà dit que j’étais pas du matin ? Ceci dit, celle d’aujourd’hui m’a aussi refait mes pansements, et elle a ajouté ce truc miraculeux, un film transparent grâce auquel je vais pouvoir prendre une douche. Extase.
J’ai lu et vu quelques trucs ces deux derniers mois, mais j’en parlerai plutôt sur le Bazzart. J’ai envie de réinvestir cet espace et de le consacrer aux livres, albums et films dont j’aimerais conserver le souvenir ou à propos desquels j’ai des choses à dire. J’adore ce site et, puisqu’il n’a plus d’utilité en l’état, autant le transformer. Affaire à suivre, donc.
En Mars, Maloriel et moi nous sommes mises à la rando, et je suis allée à la mer. Je te laisse donc avec quelques belles images, en attendant je l’espère de finaliser tous ces brouillons qui s’accumulent !
Les cinq premières photographies sont de Mal’.
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[…] il était blindé, cette fois. Autant l’an dernier c’est Avril qui m’a achevée, entre le concours et l’appendicite, autant là, l’arrivée du printemps a coïncidé avec un maelström de nouveautés […]