Miscellanées de septembre
Mazette, j’suis trop love
J’ai prévenu Clara que je réemploierai cette expression qui mélange le langage de ma grand-mère avec un franglais de bon aloi. Elle s’est dite flattée. Fière, même ;) Ainsi grâce à elle j’ai gagné une phrase qui restera définitivement dans mon répertoire, en plus d’introduire à merveille un billet qui parlera beaucoup de mes élèves.
Parce que septembre, c’est toujours leur mois. Celui où je les découvre, où j’essaie de me dépêcher d’apprendre leur prénom et où ils instillent, bien plus que moi, ce qui fera l’essence de toute l’année. Moi, je ne change pas beaucoup je crois, quoique je sois de plus en plus à l’aise au fur et à mesure des rentrées. Mais eux… Ce ne sont jamais les mêmes. Ni les individus, ni les groupes classes.
J’ai dit combien je me sentais seule et rien n’est venu me détromper. Mes collègues sont froids. Quand ils me parlent, jamais un sourire ne vient éclairer leur visage. Certains sont même carrément méprisants, pas dans leurs mots, mais dans le détachement dont ils font preuve. J’avais besoin, parce que je suis prof principale, que mes collègues remplissent une fiche synthétique pour le compte du centre hélio-marin, qui suit une de mes élèves. Après relance, je finis par croiser la prof de maths. « As-tu eu l’occasion de remplir mon ptit papier ? lui demandé-je.
– Non, et je ne le ferai pas. »
Ah. Madame estime qu’il est trop tôt dans l’année pour rendre des conclusions (cela se conçoit) et que le document est mal foutu. Mais puisqu’il a fallu que je la rencontre après deux mails, j’en conclus qu’elle n’a jamais eu l’intention de m’en informer, pas plus que la prof de sport dont je n’ai eu aucune nouvelle. Ça promet pour la mise en place des PAP…
« Rien n’est venu me détromper », disais-je, mais il y a tout de même Antoine, dont j’avais déjà évoqué le nom. J’ai réussi à le toper entre deux cours et nous avons échangé nos numéros de téléphone. Il est exactement dans le même état d’esprit que moi. Il ne s’est pas senti accueilli et trouve les collègues tout sauf chaleureux. Au moins tous les deux, on s’entend super bien. J’aime bien Antoine en partie parce qu’il me paraît très franc. Il n’hésite pas à dire ce que d’autres voilent par pudeur (« Trop cool que tu sois venue me chercher ! ») ou par politesse excessive (« Ça, tu me l’as déjà dit. ») Et il est méga calé en littérature du 16e, ça m’impressionne !
Du coup, on est bien d’accord sur une chose : puisque niveau ambiance c’est aussi sympa qu’un quai de RER un jour de grève, on a décidé de se concentrer sur les enfants. Après tout, c’est pour eux qu’on est là.
Ma troisième de l’année dernière me manque. Je ne retrouve pas sa vivacité ni son enthousiasme dans celle que j’ai cette année. En revanche, je suis effarée de constater combien mes 3A actuels sont courtois et studieux. Pas tous, pas individuellement, mais c’est la dynamique du groupe classe, qui se prête de bon gré aux activités proposées, participe généreusement et s’applique. Et pour certains, y’a vraiment du niveau.
Quant aux secondes… Ils sont tout bonnement incroyables. Là où mes cours ne suscitaient l’an dernier qu’une écoute polie et très scolaire pour la meilleure de mes deux classes, je me retrouve à répondre à des questions très pertinentes (« vous parlez de Chateaubriand. Mais il n’a pas écrit de poésie, si ? » ou « mais pourquoi les Jansénistes ont-ils une vision si rigoureuse et sombre de la religion ? ») Et pour ce qui concerne mes exercices, j’ai été tellement bluffée par la qualité – parfois syntaxique, parfois créative, parfois les deux – que reflétaient les premiers écrits d’imagination, que je les ai multipliés durant ces deux semaines, toujours avec succès. Là encore, je parle d’une dynamique de classe. Pour une Lucie, une Mathilde, un Mathéo ou un Cyprien, j’ai autant de Mathurin, de Fantin, de Justine ou de Marie-Lou. Mais les élèves les plus faibles montrent une bonne volonté sans faille, et ceux que la matière (ou l’école, je ne sais pas) n’intéressent pas se trouvent bon an mal an emportés par l’énergie des autres.
Point intéressant : Mathurin, Fantin et Maxime viennent de Stella, et je les connais. Dans une autre classe, ils se seraient laissés aller. En tout début d’année, ils restaient d’ailleurs ensemble et ne fichaient pas grand-chose. J’ai l’impression qu’ils ont senti seuls les limites d’une telle attitude et se sont efforcés de ne pas dépareiller parmi leurs nouveaux camarades.
Je publierai bientôt, je pense, un recueil intitulé « Pauvre Corneille ! », dans lequel vous pourrez lire les vers – ou la prose – vengeurs et souvent drôles, que mes élèves ont prêtés à Marquise, en réponse aux fameuses Stances à elle adressées par un Pierre quelque peu dépité. Et j’aimerais bien convaincre Sarah de me faire lire les nouvelles qu’elle a publiées sur Wattpad, mais en vrai, à sa place je ne le ferais pas ! Savoir qu’elle écrit me suffit bien. Elle est tellement cool, Sarah, avec sa bague-griffe, ses cheveux courts et ses pantalons à carreaux écossais ! (et ses histoires de princesses qui épousent d’autres princesses, donc.) EDIT : Oh my god elle m’a envoyé son profil… Je suis tellement touchée !!
Les latinistes ne sont pas en reste, qui ont fort bien vécu mon annonce (« Je ne suis PAS LATINISTE » :P), participent et bossent, décidément, avec un sérieux qui me laisse pantoise, surtout concernant des 4e-3e forcés d’être là par leurs parents.
Enfin il y a mes ptits 5e, qui veulent que mon prénom rejoigne les leurs sur le mur de la classe, et parmi lesquels, au bout de trois jours, Ambre m’offrait une petite carte avec mon nom et des cœurs (« Je sais qu’on ne se connaît pas encore beaucoup, mais je voulais vous donner ça. ») J’espère ne pas les décevoir…!
Ce qu’il y a de bien, quand on intègre un nouvel établissement, c’est qu’on ne connaît pas les élèves. C’est aussi ce qu’il y a de nul, puisque ça veut dire qu’on a quitté ceux qu’on avait découverts et appréciés. Mais ça permet à tout le monde, je trouve, de partir sur des bases saines. Ma collègue de maths, la même que tout à l’heure, pas gênée pour deux sous de m’avoir laissée dans l’expectative, me dit : « Ah par contre, je voulais te parler de Timao. Sa leçon n’était pas sue l’autre jour, j’ai mis un mot. L’année dernière, il avait un contrat, il faut que tu le remettes en place. »
Alors déjà meuf, t’es titulaire, si tu voulais être prof principale fallait pas te gêner. Ensuite, je ne vais pas mettre un contrat à un élève pour UN mot dans le carnet. On m’avait signalé ledit contrat en début d’année, mais moi j’ai eu affaire, jusqu’à présent, à un élève extrêmement discret, très poli, dont les devoirs sont toujours faits et qui bosse en classe. Je ne vais pas le cataloguer parce qu’on m’a dit de le faire. Et encore une fois, puisqu’il fallait une suppléante pour être prof principale de la classe… Si vous n’appréciez pas ma manière de faire et que vous savez mieux que moi comment faire mon taf, faites-le donc.
Sinon cette année, comme je dois me garer loin (cinq-dix minutes à pied mais quand t’es pressé et que ton sac pèse trois tonnes c’est pas top), que j’ai pas super envie de squatter la salle des profs et que la classe de seconde est située au QUATRIEME étage, je fais beaucoup de sport :D Et je vis dans ma voiture, aussi. J’y passe minimum 1h20 pour les trajets, j’y déjeune, j’y bouquine entre deux cours… Du coup c’est vite le bordel, mais désormais j’essaie de maintenir un espace propre et rangé. Et comme c’est ma nouvelle maison et qu’il faut bien s’occuper, j’écoute beaucoup la radio. J’ai découvert Radio Classique, que je préfère à France Musique (ils ne diffusent pas d’opéra !) Le matin, Guillaume Erner a définitivement remplacé dans mon cœur Patrick Cohen (j’aime bien Demorand mais c’est pas pareil.) Je trouve France Culture à la fois moins déprimante, moins polémique et bien plus riche que France Inter. En revanche, concernant cette dernière, mes horaires me permettent de nouveau d’entendre Par Jupiter, Carnets de Campagne et Le jeu des mille euros et ça c’est bien cool.
Ça me déprime un peu de devoir me lever à six heures parce que je ne suis pas du tout du matin. Je suis obligée de me coucher tôt et ça me donne l’impression de passer à côté de ma vie (mode *drama queen* on.) Du coup, comme souvent dans ces cas-là, je me reforme un cocon avec les mêmes musiques qui me permettaient de survivre aux trajets en bus quand j’étais en terminale.
Blutengel dont je découvre que Nobody’s diary est une reprise… De Yazoo… Groupe dont j’avais totalement oublié l’existence. C’est grâce à l’algorithme de LastFM que je les avais connus… Bref, je te laisse chercher, je pense que c’est un peu la honte, quand même (ouais, j’assume Blutengel mais pas Yazoo. Va savoir :D)
Par contre, en trucs dont je peux parler, lundi sur Radio Classique j’ai entendu un des concerti brandebourgeois de Bach (t’as vu comme je suis snob ! Et je suis tombée sur un reportage d’Arte alors fais bien gaffe à prononcer « Barrhhh ».) Je pense que c’était le numéro 6. D’abord j’ai été persuadée d’écouter du Vivaldi… Autrement dit, j’ai trop trop kiffé.
Et je plussoie le commentaire number one : « If I need to pick a video of a piece to share with colleagues or students, but don’t have time to preview it myself, Voices of Music always has me covered. I can ALWAYS trust that their version will be played flawlessly, beautifully, and with historical authenticity. » Pour l’authenticité, je sais pas, mais les autres versions sur YT ont l’air enregistrées dans un salon plein de gens ennuyeux qui n’aiment pas entendre une note plus haute que l’autre.
Quoi d’autre ? Ah si, tiens : tu sais ce que c’est, un subériculteur ? C’est un cultivateur de chênes-lièges. Je te le dis pas pour me la péter, mais parce que j’ai recommencé à noter les trucs que j’apprenais. Ce qui me fait penser à la solitude que j’ai ressentie à cette question blanche :
« Me voici donc seul sur la terre, n’ayant plus de frère, de prochain, d’ami, de société que moi-même. »
Quel est le titre de cette œuvre de Rousseau – dont ce sont les premiers mots -, inachevée et publiée à titre posthume ? J’te jure, je me serais giflée. Je le savais. Heureusement, d’ailleurs. (Heureusement parce que je suis prof de français et que je parle de Rousseau à mes troisièmes, je veux dire.) Ça m’a aussi fait penser à quel point il peut être attachant, Jean-Jacques. Nans mais tu l’imagines, tout seul, penché sur son bureau à la lumière d’une bougie, rédigeant ces mots ? Il est vrai qu’on peut entendre qu’il est son propre frère, prochain et ami, ce qui fait qu’il n’est pas trop mal accompagné. M’enfin, c’est d’une tristesse… Voici ce qu’il écrit à propos de la rencontre de ses parents :
« Leurs amours avaient commencé presque avec leur vie ; dès l’âge de huit à neuf ans ils se promenaient ensemble tous les soirs sur la Treille ; à dix ans ils ne pouvaient plus se quitter. La sympathie, l’accord des âmes, affermit en eux le sentiment qu’avait produit l’habitude. Tous deux, nés tendres et sensibles, n’attendaient que le moment de trouver dans un autre la même disposition, ou plutôt ce moment les attendait eux-mêmes, et chacun d’eux jeta son cœur dans le premier qui s’ouvrit pour le recevoir. Le sort, qui semblait contrarier leur passion, ne fit que l’animer. Le jeune amant ne pouvant obtenir sa maîtresse se consumait de douleur : elle lui conseilla de voyager pour l’oublier. Il voyagea sans fruit, et revint plus amoureux que jamais. Il retrouva celle qu’il aimait tendre et fidèle. Après cette épreuve, il ne restait qu’à s’aimer toute la vie ; ils le jurèrent, et le ciel bénit leur serment. »
Il est trop long, ce billet, non ?
Ouais mais attends, j’ai pas fini !
J’ai suivi les conseils de [ok, excusez-moi, je deviens dingue. Je ne peux plus me connecter à mon localhost, où se trouvent les archives du Carnet, et que j’ai déjà passé quinze plombes à reparamétrer parce que j’avais oublié mes identifiants.] Bref, toi (ou vous, je crois qu’on se vouvoyait), vous qui m’avez conseillé Marivaux à la rentrée de septembre 2020. J’ai lu Le prince travesti. Ça m’a beaucoup plu ! Je crois que je vais le faire avec les secondes, cette année. Je m’en sortirai sans doute mieux qu’avec Le Misanthrope. J’avais pas la carrure pour ce texte. Et depuis, j’ai aussi lu Le triomphe de l’amour. J’ai beaucoup aimé aussi, mais ça me semble un poil longuet pour des élèves.
J’ai pas regardé de film, ce mois-ci. Juste avancé dans Brooklyn 99, mais pas trop vite, parce que j’arrive au bout et que j’ai pas envie. J’ai dû voir quelques épisodes de Dawson, aussi, j’avais commencé en août.
C’est le morceau dont il fallait deviner le compositeur aujourd’hui (23 septembre) sur Radio Classique. J’ai évidemment choisi la vidéo de la meuf dans sa sublime bibliothèque, sans écouter les autres. (En vrai, elle a… mis de l’OSB sous le piano, mais a un vieux… carrelage ? lino ? dégueulasse au pied de la bibli du fond. De rien.)
Aujourd’hui, j’ai dit à mes élèves de 5e qu’on pourrait essayer d’envoyer leurs rédacs (il s’agit d’écrire la suite d’un roman) à l’autrice. Ils étaient enthousiastes. Puis ils m’ont demandé : « mais si elle trouve ça nul ?
– Pourquoi elle trouverait ça nul ? Ça devrait lui faire plaisir… Puis si c’est pas le cas, vous savez quoi, on lui écrira une lettre d’insultes. »
Ouais, je sais, je suis mauvaise (prof.)
Un long mois, septembre, cette année. Fatigant. Mais récompensant : que ce soient les élèves, les aubes incroyables (et impossibles à photographier, sous peine de m’accidenter, j’en suis la première désolée) ou les micro-réussites du quotidien (je me couche à 22h, j’ai presque pas merdé sur le rendu de mes premières copies et j’ai rien omis de mes fonctions de prof principale jusqu’à maintenant, youpi !) … Ça va bien. J’ai l’impression non seulement de tenir la barre mais en plus de manœuvrer intelligemment. Et je ne m’excuserai plus de mes soirées non travaillées pour y parvenir. Pourquoi faire ? Le taf est fait et il est bien fait.
Si j’ai un seul regret, c’est le temps. Il est magnifique, c’est pas ça… Mais où est passée la lumière de septembre ? Et s’il faut suer en plein cagnard, où est le temps disponible pour aller à la plage ?
3 commentaires
Wow quel plaisir de vous lire, de sentir votre joie dans ces miscellanées, après avoir déserté ce blog trop longtemps ! Des semaines, des mois que j’ai envie de revenir mais le temps me file entre les doigts. Je rends ma thèse dans une semaine, je pourrai enfin rattraper tout ce que j’ai loupé. Mille mercis pour ce beau billet. Si vous aimez Marivaux, je vous conseille de découvrir La vie de Marianne. Une saveur unique.
A mon avis, il ne faut jamais s’excuser pour les soirées non travaillées. Liberté.
Vos élèves doivent se régaler. Je pense qu’ils apprennent beaucoup rien qu’à vous voir, vous écouter, et à imaginer des lettres d’insultes fictives à un auteur ingrat. ;-)))
Je me permets de vous embrasser. Bon week-end.
Et quel plaisir de lire un tel commentaire ! Merci mille fois :)
Je ne sais que dire car vos mots me touchent énormément. Aussi, je me contenterai de vous souhaiter bon courage pour cette thèse qui s’achève – quand a lieu la soutenance ? Quel en est le sujet ?
Je m’en vais de ce pas lire La vie de Marianne.
Je vous embrasse également, j’espère vous retrouver bientôt, ici ou par mail, si le cœur vous en dit ?
Coucou, oui bien sûr, je reviendrai donner des nouvelles. J’ai pu lire le dernier article et ça fait surgir plein d’idées mais je n’ai pas encore le temps de les partager …. la semaine prochaine pour sûr. Je finis une thèse en histoire sur la féminisation de la danse au théâtre (1830-1860) et ses effets sur la profession, avec l’émergence de femmes chorégraphes. Je rends le manuscrit le 22 finalement donc il reste encore du boulot.
La vie de Marianne, c’est un de ces rares livres écrit par un homme qui restitue la subjectivité féminine. Je le trouve très moderne au fond. Voltaire, Diderot, Rousseau et consorts font office de vieux rabougris moralisateurs en comparaison. Leurs femmes sont toujours des objets instrumentalisés au service d’un propos qui justifie la différence entre les sexes. Et puis la langue de Marivaux quoi… bon week-end. A bien vite !!!