Miss K remembers
J’ai des mots au bout des doigts mais pas sur la langue, jamais.
Je vibre de poèmes informulés et de cris qui ne sortent pas. Je
m’affaisse
autour
de l’inarticulé.
Il y a un espace à l’intérieur de nous qui appartient à une autre dimension. Il n’est pas localisable, il n’en est pas dehors pour autant. Il grandit quand je lui laisse la place. Il ancre mon souffle et me fait tenir plus droite / c’est une expansion – du nom ? Comme une version amplifiée de moi, un abîme sans connotation péjorative qui m’octroie le droit à une majuscule parce qu’avec lui en moi je cesse d’être minuscule.
Je me replie autour non par épuisement mais au contraire pour y puiser. Je me sens m’étirer, m’affermir. Les mots fourmillent autour de ma colonne vertébrale. Ils montent. Ils franchissent mes lèvres. Je suis au monde et le monde est en moi.
Les mots traduisent moins qu’ils ne décrivent – du moins, c’est ce que nous croyons. Pas les Aborigènes qui psalmodient pour s’ouvrir un chemin dans l’immensité. Pas les sorciers qui savent que connaître le vrai nom des choses offre un pouvoir sur elles. Nous croyons que ce qu’on dit de nous est vrai – y compris quand ce « on », c’est nous-mêmes. Mais le mot juste ne façonne pas. Le mot juste est une clef.
Les mots peuvent détruire même quand ils mentent. C’est dire si on sous-estime leur puissance. Imagine ce qu’on pourrait bâtir en nous avec des mots justes. Pas bien choisis : pas un énième mensonge. Des mots qui disent la vérité.
Et je sais, il n’y a pas de vérité stable, il y a instant T après instant T, mais, à ce propos
je
m’enfonce
dans l’indistinct
l’informulé
l’indicible ?
Moi je crois qu’il n’y a rien d’ineffable, pas même l’horreur la plus pure, parce que : les mots sont des clefs. La serrure, c’est toi, c’est moi. C’est nous qui parfois sommes cadenassés.
je
tombe
en moi dans une mare
sans fond
en moi dans l’océan
au fond des abysses où gisent toutes les clefs que j’ai cassées
sous les vagues, là où la lumière parvient comme une caresse ourlée d’ombre. Là où les remous de la surface ont l’air d’un ciel irisé.
de rêve en rêve je traversais à gué, sans comprendre encore qu’il fallait plonger.
sous l’eau je regarde nos multiples visages.
j’ai suivi les mots et maintenant je suis là. pas du tout où je pensais. J’écoute la rumeur de l’eau : j’écoute The Humming, pour la première fois depuis…
Je suis loin, loin en moi, dans cet espace qui est là et pas là. J’ai de l’encre qui suinte au bout des doigts et la sensation d’avoir tout juste appris l’alphabet. Mais je me sens immense à l’intérieur.
2 commentaires
« Comme une version amplifiée de moi, un abîme sans connotation péjorative qui m’octroie le droit à une majuscule parce qu’avec lui en moi je cesse d’être minuscule. » : c’est beau
Merci ! ♥