Nos meilleurs souvenirs de lecture (partie 2)
Les livres de mon adolescence.
Est-ce qu’il se passe quelque chose dans la pleine adolescence, qui justifie que tout m’y semble si embrouillé ? J’en ai des tas de souvenirs, mais la chronologie me semble ici bien plus hasardeuse. Peut-être que tout est devenu coupant et abyssal. Mes monomanies enfantines ont pris une autre envergure, ont tourné à l’obsession fiévreuse.
La terre sous ses pieds
Je ne me souviens plus comment j’ai su ça, mais Salman Rushdie et Mylène Farmer se connaissent bien, et il m’a paru évident qu’elle avait servi de modèle à son personnage principal. Je serais bien en peine aujourd’hui de t’expliquer de quoi parle ce bouquin. En revanche, je sais que j’en recopiais des extraits sur les feuilles de brouillon que mon lycée distribuait lors des examens blancs (elles étaient en couleur et pas tout à fait lisses, je les adorais et les collectionnais.) Je les stockais dans mon portefeuille, ils y sont restés pendant des années, jusqu’à je crois que je change de porteuf’ en première année de fac.
Je devais être en seconde. Je me souviens d’un souffle ample et d’une vibration.
J’ai rapporté le livre dans ma maison d’adulte il y a un ou deux ans, peut-être. Il dort dans la bibliothèque de la chambre et je n’ose plus le réveiller, comme presque tous les autres livres dont je vais parler – j’ai essayé pour certains, c’était gâcher.
La curée
Je croyais t’avoir parlé de Madame Renaud dans la partie 1, mais pas du tout. Madame Renaud, c’était notre prof de lettres, en première L. Elle était calme, sévère, et juste. Quand j’ai quitté Sainte-Thérèse parce que ma famille déménageait en Bretagne, je lui ai demandé son adresse. Nous avons échangé quelques lettres. Elle est restée très professionnelle, me vouvoyant toujours, mais quand je suis revenue, l’espace d’un jour de vacances bretonnes, assister à un de ses cours en term’ avec mes anciens camarades, notre émotion était palpable. Je te raconterai les circonstances un autre jour.
En revanche, je t’en parle parce que c’est à Madame Renaud que je dois d’avoir lu plus tard Thérèse Raquin pour préparer un cours de troisième, et de m’être lancée récemment dans la lecture de l’intégrale des vingt volumes des Rougon-Maquart avec Zofia. Madame Renaud ne s’est pas contentée de nous faire lire La curée, et si seulement je pouvais me rappeler comment elle s’y est prise pour nous aider à l’appréhender, je serais une prof formidable.
Je me souviens d’une description de la serre. Je me souviens de la sensualité débordante, riche, capiteuse même. Je ne sais plus si je l’ai réussi, mais c’est le commentaire composé dont je me rappelle le mieux de toute mes études (avec celui d’un extrait de L’acacia de Claude Simon à la fac, ce qui est très étrange.) (1)
Imajica, Le royaume des devins et Everville
J’ai essayé de relire Imajica il y a quelques années, et je l’ai trouvé lent, un peu grandiloquent peut-être, alors je ne veux pas m’y attarder, passons, c’était un mauvais rêve.
Clive Barker a été une PUTAIN.DE.RÉVÉLATION. Complètement mystique.
Imajica était le premier, et comme le résumé Wikipédia n’a absolument aucun sens, je ne peux que supposer que c’était surtout mon premier roman de fantasy/fantastique/épique/mythologique, et si à ton tour tu trouves ça pompeux eh bien tant pis.
Le royaume des devins, première mention de la Trame. Un monde bien réel contenu dans une fiction. La fiction moins comme une échappatoire que comme un système descriptif, au même titre que le langage mathématique.
Et qui décrit donne vie.
C’est dans Everville (à moins qu’il ne s’agisse de Secret Show ? C’est le volume 1 du diptyque) qu’apparaît Quiddity : l’océan onirique dans lequel nous plongeons trois fois dans notre vie au cours de nos rêves : à la naissance, lors de la nuit où l’on rencontre le grand amour, et à la mort. Je pique la phrase sur Babelio mais c’est ce qui est écrit dans le bouquin. Et moi, l’Océan Onirique, je n’ai plus jamais cessé de le chercher. Je me trouve parfois sur des rivages fort semblables quand je parviens à méditer. C’est l’endroit où j’espère effectivement retourner quand je mourrai.
C’est l’absolution et l’acceptation de soi, et la matrice des symboles. C’est une de mes, voire la plus grande claque imaginaire que je me sois prise dans ma vie. De celles qui ouvrent un abîme sous tes pieds, mais un de ceux dans lesquels tu te jetterais sans crainte.
Âmes perdues
Autre tentative de relecture, autre défaite. C’est un premier roman – iel avait dix-neuf ans, je crois. Ça se sent. Avec le recul, je l’ai trouvé couturé de clichés. Mais je ne suis pas sûre qu’on puisse lui en tenir rigueur : avant Poppy Z Brite, il n’y avait à ma connaissance RIEN qui lui ressemble. Cette sexualité farouche, ces fantasmes gays, l’odeur pesante du sang et du sucre… Ghost et Steve. Steve et la scène du viol d’Anne. Steve et la rage. Âmes perdues n’a pas seulement influencé ma vie parallèle, il l’a presque dictée. J’avais la trame, je crois, mais pas les contours, et surtout, pas l’audace.
Une fièvre impossible à négocier
Tout est dans le titre.
Mettre un poing final dans la figure de la Peur…
Pour réapparaître à soi-même, en entier, rêves compris, tout recousu.
Je suis là.
Terrain d’entraînement : ma Vie
Ça a été une lecture viscérale, y compris dans mes agacements – je ne comprendrai jamais les gens qui trouvent un remède, du moins un baume, dans l’action collective. Mais j’avais dix-sept ans, et encore une fois tout est dans le titre.
Et aussi
Moins impactants sur le long terme, mais compagnons de route pendant des années : Le cycle d’Elric de Michael Moorcock et les, disons dix premiers volumes de la série Anita Blake, de Laurel K Hamilton. Sans entrer dans les détails, Elric demeure une des œuvres les plus bizarres que j’aie pu lire. Elle met en scène un personnage froid, antipathique, dont évidemment je suis tombée amoureuse. Quant à Anita Blake, tout autre genre, c’est de la bit-litt en avance sur son temps (on n’en publiait quasiment pas, à l’époque.) Il y avait des vampires et des métamorphes trop sexy, des amours dérangeantes, une héroïne badass qui dort en pyjama et collectionne les mugs ridicules. Ça a mal tourné (trop, vraiment trop de sexe, et Anita est devenue détestable) mais c’était hyper rafraîchissant dans mon monde adolescent où l’amour était très normé.
PS : je ne sais pas comment j’ai fait, mais dans l’épisode précédent, j’ai oublié de parler de Ronya, fille de brigands, ce qui est juste impardonnable.
1 À l’origine, j’avais écrit que ça avait été celui que j’avais préféré rédiger, mais en y repensant, c’est paradoxalement peut-être celui que j’ai copié sur mon amie Anne-Lise (en copiant, je l’ai amélioré et j’ai eu une meilleure note qu’elle… Elle faisait la gueule :D)