Until the morning blue
Quand l’aube ne traîne plus de spectres.
Remember our first aqaintance
At your iron post
Sat in my car when
All at once my life got lost
I keep a firm hold on you
Until the morning blue
Deine Lakaien – Wunderbar.
Souvenirs d’un parking sous la pluie.
Je suis épuisée, mais pas du tout comme d’habitude. Attends, je réfléchis. Je crois bien que c’est la première fois de ma vie que je suis juste fatiguée, et pas lassée ni rongée d’angoisse ni en équilibre au seuil de la dépression.
Juste
É
puis-
-ée
Par la route, d’abord et sans doute avant tout. Par l’énergie que ça m’a demandé de « créer un climat de classe propice aux apprentissages » – par les mercredis de formations aussi, tu vois. Je n’arrive plus à mettre mon cerveau sur pause. Je ferme les yeux, je vois des élèves, je dors, je rêve d’élèves, je me réveille je pense aux élèves et tout se mélange entre les moments où je m’observe et ceux où je réécris des scènes déjà vécues.
Putain, ce qu’ils ont pu me faire peur. Ce qu’ils m’ont demandé d’attention, de vigilance et de contrôle. Le premier jour, la toute première heure de cours, je me suis tenue à la porte pour accueillir les troisièmes. Qui m’ont dépassée allègrement pour aller saluer leur prof de l’année dernière, avant de rentrer en classe avec la plus parfaite nonchalance. S’en sont suivies une heure et demie de joute verbale dénuée de la moindre animosité mais où, je le savais, tout se jouait. Ils me testaient, ils voulaient savoir qui j’étais et ce qu’ils seraient par conséquent ; tout ne dépendait donc que de moi.
Mardi dernier, j’adressais ce que j’espérais être mon ultime « discours » aux 4B (surnommés les « don’t panic » par leur prof principale devant la vindicte de l’ensemble du corps professoral), avec ma voix la plus douce, la plus posée dont je sois capable, pour leur dire ceci : « il n’y aura plus de dernière chance. À partir de maintenant et pour mémoire, les règles sont les suivantes. Personne ne parle en même temps que moi, personne ne se lève sans autorisation, ET bordel CESSEZ DE DIRE MADAME en même temps que vous levez la main ça me donne des envies de meurtre, JE VOUS VOIS » :D
Pfiooou.
Aujourd’hui, Fanny a dit qu’elle avait adoré l’activité. Zoé m’a écrit un poème pour se faire pardonner d’avoir été chiante. Ewen et Aëline sont prêts à rédiger une pétition pour que je reste dans l’établissement l’an prochain. Swann, Raphaël et Andréa ont compris quand je leur ai demandé de me lâcher la grappe cinq minutes, le temps que je me calme après avoir viré Romane qui m’a littéralement fait sortir de mes gonds. Je l’ai gagné, ça. Je suis légitime à me le rappeler publiquement.
Putain, je te jure que j’ai envie de pleurer là tout de suite, et pas de lassitude, mais de soulagement et de gratitude. J’ai réussi. Je suis pas dans les clous pour une inspection, j’ai pas toujours de tâche finale formulée, l’ordre de mes séances est souvent interchangeable, j’ai oublié des trucs, je croule sous les copies en cette fin de période, mais j’ai réussi. J’ai gagné ma réputation dans un collège dont le directeur m’avait dit que les élèves y étaient chez eux, j’ai réussi à m’entendre avec une autre Zoé très reloue et sans filtres, Soann prend ses cours et Kellyann me montre fièrement les lignes qu’il a réussi à écrire. Je suis à ma place.
Je suis à ma putain de place, et c’est maintenant que c’est important, parce que ça fait huit ans que j’enseigne, mais tant que j’étais suppléante tout le monde s’en tapait que je fasse bien mon boulot. La perspective que tout s’écroule alors que, parce que j’ai eu mon concours m’a glacée et mise en colère. Mais je vais la valider, cette année de stage. Je vais la valider, et dans pas si longtemps je m’installerai quelque part où je serai enfin chez moi et où je n’aurai plus rien à prouver, si ce n’est aux élèves et à moi-même.
Mercredi dernier, en formation, il nous a été demandé de nous situer dans notre rapport aux quatre dimensions inhérentes au métier d’enseignant. C’est-à-dire technique, éthique, politique et affective, ainsi qu’à celles nécessaires à l’établissement d’un « climat propice aux apprentissages », encore lui, qui sont : sécurité, cohésion, reconnaissance et communication. Cela m’a fait sourire car on ne m’avait jamais donné l’occasion d’exprimer et donc de légitimer mon « style » (encore une fois entre guillemets car cela fait partie du jargon. Il y a les impondérables du métier, et la façon dont on les applique.)
Je suis bien plus portée sur les dimensions affective et technique, quoique pas assez à mon goût pour cette dernière, parce que je ne sais pas toujours comment transmettre ces savoirs. Et je suis extrêmement sensible au besoin de reconnaissance des élèves et à la valeur communication, c’est-à-dire à la favorisation des échanges et à la prise en compte de la parole collective, pour autant qu’elle ne soit pas haineuse ou moralisatrice. En bref, je privilégie les relations humaines plutôt que la maîtrise disciplinaire ou la cohésion – cohérence ? – du groupe. Il est évident que toutes les dimensions (hormis la politique, à mon avis) doivent être acquises tant par les élèves que par moi-même, mais j’ai aimé qu’on me permette d’être moi-même et de partir de là.
J’aime cette année. J’aime la route de la côte, l’arrivée en surplomb du port de Dahouët, la salle des profs avec ses trois canap’ et sa machine à café qui moud de vrais grains, les collègues toujours de bonne humeur, leur gentillesse et l’attention qu’ils me portent et qu’ils portent à autrui. J’aime aussi les aubes qui se lèvent à peine sur la gare le mercredi, et les vendredis trop longs où je vois toutes mes classes et durant lesquels je voudrais juste rentrer chez moi et me blottir sous un plaid. J’aimes mes covoit’ avec Hélène, qui regarde The midnight club, me conseille Dahmer, accorde beaucoup trop d’importance aux médisances des parents d’élèves et possède le plus beau sourire que j’aie jamais vu.
Je n’attends qu’une chose : les prochaines vacances. D’ici là, je crois que je peux savourer de me sentir à ma place au milieu de gens, profs et élèves, qui m’ont offert l’opportunité d’être moi certes, mais surtout se livrent aussi – évidemment c’est surtout des gamins dont je parle. Je vais faire tout mon possible pour les faire disparaître de ma vie ce weekend, mais je ne serai pas mécontente de les retrouver lundi…
3 commentaires
Bravo ! je t’admire ! la confrontation avec les ados font que je ne suis pas devenue prof ou même instit… je ne me sentais pas de taille pour ces affrontements, même s’il en ressort du positif. J’ai préféré me tourner du côté des adultes. Je commence une formation mercredi et j’ai aussi fait des cauchemars en rapport avec ma future « classe » ^^
Merci, c’est gentil ! :)
J’adore ce que je fais, et c’est plus souvent gratifiant que l’inverse. C’est juste fatigant ^^
Bon courage pour demain !!!
Merci ! au final, bien sûr, tout s’est bien passé ! en plus dans mon cauchemar, je faisais des maths et sur cette formation, je ne fais que du français, le subconscient des fois…!