Écritures à la petite semaine #13
Journal de fluctuations.
Vendredi 5 septembre, 6h30.
J’ai rêvé qu’on se mariait. Enfin, c’était l’idée.
Il y avait des inconnus, des inattendus et des absents notoires : je n’ai souvenir d’aucun ami. Ubik m’avait laissé entendre, je crois, que tout avait été improvisé, et que je devais m’attendre à une baignade. Mais en réalité, je n’ai fait que ça, attendre. Ubik et moi avions été séparés. À un moment, il a fendu la foule, maquillé m’a-t-il semblé, l’air profondément saoulé, sans même me voir. Je me suis dit que ça allait bientôt commencer, mais non.
J’ai attendu auprès de gens improbables, collègues ou même élèves (j’ai vu Hugo et Alexandre, tout bien habillés pour l’occasion). On s’est déplacés plusieurs fois ; d’une grande salle, ou véranda immense, je me souviens être passée devant un escalier monumental avec des gamins assis tout le long des rampes, et je me suis dit « ça y est », mais non, toujours pas. (L’escalier sculpté dans une roche blanche descendait vers la mer depuis de larges baies vitrées, le long d’un couloir incurvé qui faisait le tour de l’hôtel.) Nous sommes passés devant une crique, des oiseaux se sont envolés, c’était magnifique et j’ai eu les larmes aux yeux. Mais « ça » n’y « était » toujours pas.
À un moment, j’ai croisé Arthur et une femme que je ne connaissais pas, et quelqu’un m’a dit à l’oreille, avec des accents assez sournois, qu’ils avaient « déjà » divorcé. J’ai pensé que ça faisait tellement adulte, « divorcé ».
À un autre moment, on m’a abandonnée sur une terrasse bordée d’arcades sur le côté droit, mais je ne saurais dire à quoi le décor ressemblait (je veux dire qu’il n’y en avait pas, ma vision était réduite au premier plan.) Il y avait Damien et Sophie, ainsi que ma collègue Véro. Damien avait pris dans ses bras une immense chouette effraie. Elle penchait complètement la tête en arrière pour être caressée. Je me demandais si j’oserais la toucher.
À un autre moment encore, peut-être que c’est là en fait que je croisais Arthur, on remontait le long d’un chemin forestier et au détour d’un virage, on découvrait que la forêt brûlait.
Le réveil a sonné, et je me suis réveillée pas mal frustrée de n’avoir pas assisté à mon mariage, d’autant plus qu’il me semble m’être éveillée à plusieurs reprises durant le rêve, et m’être chaque fois rendormie en me disant « retournes-y, ça va bientôt commencer » !
Dimanche 14 septembre, 22h29
J’ai envie de prendre encore davantage soin de moi, parce que j’aime être en vie et qu’à une autre époque, je serais morte depuis longtemps, déjà, de l’embolie et de mon sang trop épais. Je me sens immensément reconnaissante.
J’ai envie de lire encore moins l’actu, qui ne me rend pas meilleure ni plus utile. Les livres et la presse magazine, en revanche, oui. Je n’ai aucune raison de privilégier l’immédiat à l’intellect et à la spiritualité.
Ubik nous a préparé un chouette petit déj’ pour demain matin. Tout est propre, le chat pelotonné dans l’armoire et l’aurore boréale illumine le plafond, tandis que le vent rôde aux abords de la maison, mais sans y entrer malgré la fenêtre ouverte. Comme s’il nous protégeait, ainsi que la vallée.
Lundi 15 septembre, 10h55
Je découvre qu’Angoisse manipule mes pensées à sa guise. Sa manœuvre préférée consiste à faire sonner en boucle une alarme dans ma tête, qui répète : « Tu dois faire quelque chose à telle heure ! Tu dois faire quelque chose à telle heure ! » Et comme la plupart du temps, « quelque chose », c’est aller travailler, elle en profite pour me faire visualiser les heures de cours en énumérant tout ce qui pourrait mal se passer. En boucle également, cela va de soi.
Eh bien je viens de me rendre compte que faire quelque chose de mes mains la faisait terre taire. Mieux, ça semble débrancher tous les circuits de la panique. Mes pensées s’apaisent et mon corps se détend instantanément. Le temps (j’allais écrire « le temple ») retrouve son cours normal.
C’est une sacrée révélation pour quelqu’un qui n’a toujours vécu qu’à travers ses pensées. Même petite fille, ma seule activité en dehors de la lecture consistait à inventer aventures et drames pour mes Playmobils.
Imagine. Non mais imagine, tout ce que je vais pouvoir accomplir si la solution c’est de faire plutôt que d’essayer de m’anesthésier.
22h16
Terre/taire ; temple/temps. Des réponses, en soi ?
Même s’il m’est arrivé une ou deux fois d’en parler à Eliness, je ne pratique pas le yoga. Une session par-ci par-là ne constitue pas une habitude ni ne témoigne d’un réel intérêt. À la vérité, je suis tout à fait dyspraxique. Je sais faire mes lacets, certes, mais reproduire des mouvements, même exécutés devant moi, m’a toujours été difficile. Je ne comprends pas, je m’embrouille et fais tout de travers, sans en tirer aucun bénéfice durable.
En revanche, depuis plus d’un an, je fais des étirements. Au départ, c’était basique. Puis j’ai introduit un enchaînement symétrique supplémentaire. Puis un autre, en préambule. C’est, en quelque sorte, un sport méditatif que j’ai inventé pour moi-même. Il me reste à ralentir les gestes, à introduire une pointe de tai-chi, si on veut. Mais j’ai trouvé : les gestes, le rythme, la cambrure qui me conviennent.
Tous les soirs, été comme hiver, je sors sur la coursive et mon souffle épouse mes gestes et ma pensée (ou l’inverse, ou…) Je me sens calme, connectée à moi-même et à la nature (comme si c’étaient deux choses différentes…) C’est le prélude parfait à la méditation, et même si j’ai envie d’apprendre d’autres chorégraphies, je me réjouis de posséder désormais une autre clef (à ce rythme, c’est un trousseau, que je devrais me faire tatouer !)
Mardi 16 septembre, 21h33.
Un autre concept qui s’installe : la non-réactivité. Pas dans des situations paniquantes, évidemment. Mais face à des émotions « négatives » – pénibles, en tout cas, ou des moments déconcertants, en classe généralement. Je ne traine plus ces frustrations comme des boulets tout au long de ma journée. Sans doute parce que je prête davantage attention à toutes les choses positives qui m’arrivent ou dont je suis témoin.
Ne nous leurrons pas : si je l’écris, c’est aussi pour l’ancrer. Pour m’en souvenir quand l’énergie me fera défaut.
Mais ça fait partie de ce que je commence à apprendre : à ne plus me crisper, ni autour de la fatigue ni autour des énervements passagers.
Et vraiment : cesser de considérer que tout les choses négatives renvoient à une vérité profonde et grave, tandis que les positives relèveraient de l’anecdotique.
Mercredi 17 septembre, 21h46.
Jolie matinée avec les 5e (edit : elles le sont toutes.)
Razzia à la librairie avec Mal’. Tout était parfait, cet après-midi : le luxe de la voiture électrique, silencieuse, connectée à Spotify et disposant de places de parking réservées ; le luxe de ne me soucier aucunement de budget en choisissant mes livres, dont Notre part de nuit que j’offre à Mu en espérant qu’il la percute aussi (elle a aimé Les dangers de fumer au lit), la tisane sur la causeuse en rentrant, les udon plongés dans le bouillon et dégustés avec des lamelles de bœuf et des brocolis.
Jeudi 18 septembre.
Un peu pintée ce soir et sans doute déjà en retard pour me coucher. Demain, je vois LE psy.
Vendredi 19 septembre, 00h44
Bon ou mauvais choix que cette méditation. Je tenais à la faire, j’étais trop bien partie pour faire une série parfaite cette semaine.
Sauf que : j’ai bu, et que la méditation portait sur la vulnérabilité (ça tombait très bien). La tête ne m’a pas tourné, non. J’ai juste expérimenté une bonne petite panique intérieure, aucune trace à l’extérieur, mais dedans, dedans mon souffle s’est heurté à une pierre. D’habitude je prends trois respirations profondes et lentes, c’est la clef. Là les trois se sont heurtées à la pierre qui me scelle, j’ai hyperventilé, alors j’ai fait ce pour quoi cette pratique est faite, j’ai laissé être, enfin, j’ai essayé, tout mon corps était verrouillé. Je ne pouvais ni accepter pleinement la panique, ni prendre la tangente. À bout de souffle et dans le noir. Dix très longues minutes.
J’ai bu et je suis crevée, certes, mais je fais le lien avec le rêve de la nuit dernière. Je conduisais sur une autoroute limitée à 440 km/h et je n’osais pas tellement aller moins vite, de peur de devenir un danger pour moi et pour les gens qui maîtrisent ce genre de vitesse. Il y avait six ou huit voies, et des indications peintes au sol qui apparaissaient dans un délai bien trop court puisque je roulais si vite. Sur les voies périphériques, des flèches directionnelles, je ne les suivais pas parce que je ne savais pas où aller, je n’osais pas sortir alors je traversais les voies en mode kamikaze pour rester sur l’autoroute. Le réveil a sonné alors que je venais de franchir une ligne blanche pour me remettre dans « la voie qui va tout droit », elle allait peut-être vers un tunnel, en tout cas le décor ressemblait fort à celui des circuits de Megarace. Impression de conduire sous un dôme infini, pas à l’air libre.
C’est un rêve que j’ai déjà fait, pas celui-là exactement, mais la route, les voies qui se multiplient et la vitesse. Quand j’étais petite, j’ai fait un cauchemar particulièrement prenant dans lequel ma maman allait à la poste, me laissant comme d’habitude dans la voiture le temps de mettre sa lettre dans la boîte, mais la voiture se mettait à reculer toute seule, elle traversait la ville et je ne pouvais rien faire, j’avais cinq ans et j’étais tétanisée. Tu vas rire, mais je ne sais pas combien de fois après ce cauchemar, mais genre jusqu’à mes vingt ans, j’ai sursauté quand, dans une file de véhicules arrêtée au feu rouge, les autres voitures se mettent en branle, te donnant l’impression de reculer.
Est-ce que la vie va trop vite, est-ce que mon cerveau me supplie de dormir pour de bon, ou est-ce que c’était la visite au psychiatre – dominos. Inversés. Faire tomber celui-ci, était-ce remonter le temps à toute vitesse et sans forcément l’avoir voulu ? Le psy m’a demandé : « c’était comment, l’enfance ? » J’ai dit le primaire je ne me souviens pas trop, en fait je m’en souvenais mais c’était trop compliqué à expliquer donc j’ai ajouté « ça allait, je me souviens que j’avais deux très bons amis au CP, par contre le collège… ça a été un cauchemar.
– Vous vous sentiez différente ? »
Le « oh oui » a franchi mes lèvres trop rapidement lui aussi, plus spontané que je ne l’aurais voulu, autant que la suite « et on me l’a dit, aussi », mais après tout j’étais là pour ça, non ? Pas pour culpabiliser de me regarder le nombril, mais pour cracher ce putain de noyau. « Oh oui on me l’a dit, que j’étais bizarre, peut-être pas si souvent que ça, mais suffisamment pour que je sois ici aujourd’hui », et on revient au fait que je me sente assez stupide de ressasser des trucs qui datent du collège, surtout que je ne les ressasse que parce que je l’ai bien voulu – c’était nécessaire aujourd’hui, pour ce rendez-vous, dans la vie de tous les jours je suis passée au-dessus, tu penses bien, la preuve…
Non, ce rêve c’était pas ça, c’était plus actuel, une mise en garde peut-être, attention Nath tu commences à perdre les pédales ; je m’étais couchée à l’heure mais ivre, et quand le réveil a sonné ça a été clair comme de l’eau de roche : ah mais non, ça ne va pas être possible. Sans culpabilité ni rien hein. Juste, pas possible. J’ai mis le réveil en mode snooze, il a ressonné pendant une heure, et là je me suis levée, nickel, j’ai pas petit-déjeuné ni lu mais j’ai effectué tous les rituels du matin et j’ai passé une excellente journée.
Dimanche 21 septembre.
Au milieu de l’après-midi, un orage se déclare. Ça tonne, il pleut, je suis aux anges.
23h30
J’écoute la pluie.
22 septembre.
La N12 a été partiellement fermée et une femme est morte noyée dans sa voiture. Bon ben finalement, cet orage…
Je choisis de me souvenir qu’on a dormi avec le chat et que je me sens réconfortée. Égoïste ? Sans aucun doute. Survivaliste, même.
Mardi 23 septembre, 6h22.
Rêve : Ubik et moi possédons une maison, de plain-pied, avec quelques fenêtres (!) Nous avons dû l’acheter telle quelle parce qu’à un moment, en la parcourant, je me fais la réflexion qu’elle dispose de plusieurs coins sympas, qu’il faut que je remette à notre goût (les meubles y sont vieillots et la déco douteuse.)
À un moment viennent (en visite ?) plein de vieilles dames genre grand-tantes que je ne connais pas. Parmi elles, il y a une jeune femme blonde (carré long, lunettes à montures noires), qui couche avec Ubik. Ça ne m’énerve pas particulièrement, mais je lui fais tout de même remarquer que je suis là, car je trouve qu’elle prend ses aises.
Avant ou après, la pile d’assiettes qu’il me met dans les mains (les mêmes que celles qu’on possède « en vrai ») m’échappe, trop lourde, et se brise. Au magasin, il ne reste que des modèles dépareillés ou défectueux : pas ronds, en plastique, ou ébréchés.
Je vois Amélie, dans ce rêve, une fois les cheveux en palmier afro et l’autre coupés à la garçonne. Je lui dis que la première fois je n’étais pas sûre de l’avoir reconnue, et aussi qu’avec Julia on a parlé d’elle, qu’on s’est dit qu’elle nous manquait. Je le lui dis pour lui faire plaisir mais ça a l’air de ne lui faire ni chaud ni froid.
(je n’ai pas vu Amélie depuis presque vingt-cinq ans, et ça n’a jamais été une très bonne amie.)
Ce matin en première heure, un étudiant est arrivé en retard. Quand je lui en ai demandé la raison, il m’a répondu : « J’attendais que la pluie s’arrête. »
…
On me l’avait jamais faite, celle-là :D
Du coup, je l’ai autorisé à entrer sans billet de retard. Parce que d’une part il m’a fait rire, et que d’autre part, la saison sombre en Bretagne va lui sembler longue, le pauvre :P
Mercredi 24 septembre, 20h43.
« Il faut entre 18 et 254 jours pour créer une nouvelle habitude. Et automatiser un comportement spécifique prend en moyenne 66 jours. » Je ne sais pas d’où Nicole Vignola (dans le dernier numéro du magazine Flow, p49) sort ces chiffres dont l’amplitude semble aléatoire, mais je suis tout de même fière d’affirmer que j’ai suffisamment persévéré pour ancrer certains gestes, pour les automatiser, justement. Ainsi, me lever à la première sonnerie du réveil, réaliser tous mes rituels « soin de moi » ou prendre un petit-déjeuner sont désormais des choses que je fais d’instinct (edit : pas cette semaine… de l’inconvénient de l’honnêteté, et du recopiage a posteriori.)
J’ai aussi appris à reconnaître ceux que je pouvais différer ou ne pas effectuer du tout si je n’étais pas en forme et à les remplacer par une bouillotte ou deux heures de sommeil en plus. Et, je n’en suis pas peu fière non plus, ce soir j’ai atteint onze jours d’affilée où j’ai médité et c’est la première fois depuis que je possède cette appli qui m’a sauvé la vie, il y a une dizaine d’années, déjà…!
Lundi 29 septembre, environ 8h15.
J’aime bien me lever à l’aube, à condition qu’il soit 8h plutôt que 6, et que je n’aie rien à faire ensuite.
Ce matin le ciel est bleu, presque blanc au-dessus des arbres dont l’alignement dessine le seuil de la vallée.
Au premier plan, il y a, posée sur la table basse, la plante qui grimpe vers le bas. Derrière, Moya dort, le museau enfoui dans un plaid. Au-delà, le soleil éclaire la ramure du prunier, le cerisier et la haie de frêles de frênes mêlés aux pruneliers. Dans le coin gauche, juste au-dessus de l’ombre, une poignée de points roses éclate en feu d’artifice miniature.
J’aimerais apprendre quoi planter pour avoir des fleurs à l’automne.
La maison s’est enveloppée d’un manteau de brume. Alors que tout dehors resplendit de verts et jaunes dans la lumière très douce des derniers jours de Septembre, les vitres constellées de taches de pluie sont couvertes de buée. Elle est à l’extérieur, comme si elle voulait me protéger.
Dans cette brume, les taches de pluie sont une absence. Je ne me souviens plus comment s’appelle cette technique qui consiste à peindre ou dessiner autour d’une empreinte, plutôt qu’à la combler.
Il ne reste presque plus de brume. Tout au plus des traces de pluie sur la partie inférieure des fenêtres. J’ai froid. Le silence est total. Parfois, la maison craque, et moi j’ajoute le son de la pointe du stylo qui glisse sur la page avec ma main.
Le soleil s’est effacé derrière un nuage, réapparaît, s’en va. Pas un clignotement mais une variation. Je pense au Horla.
Mercredi 1er octobre.
« si vous commentez alors faites-le comme ça ». Ce n’est pas dit de cette façon mais c’est ce que j’entends. Je me referme comme une huître. Si je commente c’est qu’on me fait confiance, si je ne dois pas alors n’ouvre pas. Ne raconte pas.
Ma réaction est aussi injuste que contestable dans ses prémices et sa structure. Je le sais. Elle est pourtant vive dans mon ventre et dans mes mains. L’injonction me renvoie à quelque chose de plus profond, qu’il faudrait fouiller. Quelque chose peut-être de l’ordre de la révolte face à un père, notamment, qui m’a trop détaillé ses sentiments sans se préoccuper des miens (il n’était pas en capacité de) ni tenir compte de ce que j’en pensais. Avec ma sœur, je me souviens d’une ou deux crises, parce qu’elle exprimait mais ne sollicitait pas d’avis : je n’ai jamais su quoi faire de ça. D’une parce que je ne comprenais pas ce que, du coup, on attendait de moi, de deux parce que je ne supporte pas qu’on me jette de la souffrance à la figure, et j’en fais quoi, maintenant ? Dire sans attendre d’autre réponse qu’une écoute attentive, c’est (je le ressens comme ça, je veux dire) choisir d’ignorer ce que ça remuera en moi. C’est me demander de l’abnégation là où on n’en aura pas fait preuve. C’est me laisser toute seule avec une peine immense qu’on m’a transmise, que je ressens profondément – je suis quelqu’un d’empathique -, et qu’on m’ordonne de verrouiller à l’intérieur de moi.
Je n’en suis plus capable. Ou alors je ne le souhaite plus (résoudre cette alternative ce serait ouvrir une toute autre réflexion). Alors je jette ça là, à mon tour.
20h35
Retour de chaos, je le savais bien qu’il arrivait. La musique a enflé tous ces derniers jours : à volume toujours plus élevé et toujours plus violente. Ce soir calme, mais à chialer, ce soir Beginning of the End movement 1 (The Hauting of Hill House), sans l’avoir tout à fait voulu (je ne me souvenais pas qu’elle était sur cette playlist), ce soir ivre, heureuse et totalement en train de sombrer.
Jeudi 2 octobre, 20h51.
Je me rappelle hier dans la voiture être revenue sur ce nœud de pics proactiles qui jaillit de moi en certaines circonstances. Il ne réagit pas trop quand je lis des écrivains autobiographes, qui pourtant me laissent bien plus seule que mes âmes sœurs, et avec bien plus d’arrogance. J’en conclus que même s’il m’arrive de jalouser les gens publiés/adoubés dans leur souffrance, je ne parviens pas à leur reprocher l’exposition qu’ils font d’eux-mêmes parce qu’elle m’offre un miroir ou une fenêtre offerte à ma curiosité, alors que les personnes que je « connais », il me semble leur « devoir » autre chose, ou plutôt qu’elles devraient avoir davantage confiance en moi, enfin, non, que je devrais avoir en retour le droit de m’exprimer ; putain si tu savais, si je publie ça, là tu pourras dire que j’ai exposé toute ma vulnérabilité en pâture, ça m’est bien plus difficile de reconnaître mes blessures narcissiques et la tournure égotique de mes pensées que mes travers étiquetés. S’il te plaît ne prend pas ça pour autre chose que ce que c’est : un étalage, impudique je ne sais pas, mais mu par un irrémédiable désir d’expliciter chevillé au sentiment que ce qu’on tait par refus de se regarder en face, y compris dans ce qu’on est de pire, ne sert qu’à valider nos récits intimes. Pour une raison que je ne m’explique pas, la « Vérité » m’est une obsession.
J’ai, par habitude du cynisme, vraiment merdé avec Ilan. Heureusement qu’il est du même genre que moi : à te fixer droit dans les yeux et à te renvoyer au fond de l’abîme d’un regard brûlant.
Je suis incapable de dire si mes excuses lui ont suffi. Je les ai renouvelées par écrit. Droite dans mes bottes, je suis.
Vendredi 3 octobre, 20h27.
Je ne sais pas comment appeler ce qui me quitte au fil des semaines, à défaut je dis « énergie ». Je suis en bonne santé, je suis réellement heureuse d’aller faire cours dans trois classes sur cinq (avec une autre je ne sais jamais ce qui adviendra, et la dernière est décevante). Je ne suis pas déprimée.
Mais… je n’ai pas envie. De quitter mon lit, de sortir de chez moi. Cette semaine, tout s’est délité. Un à un, les rituels sont passés à la trappe. J’en suis au stade où je me réjouis de m’être douchée le matin puisque le soir précédent je m’étais effondrée à 22h. Je n’ai pas lu, ni médité, de toute la semaine.
Je dois me forcer, même pour faire des choses qui me plaisent. Ce soir, j’en suis rendue à « pas de musique avec des paroles », ça me déconcentre. Ce matin, je suis arrivée la première à Kerbutun et suis restée assise dans le noir, les yeux fermés, à tirer sur ma vapot’ en attendant de croiser Stéphanie ; mais c’est Nathalie qui est arrivée, a allumé les bougies et s’est assise JUSTE À CÔTÉ DE MOI alors que TOUS les sièges étaient libres. Et une fois qu’elle est là, Nathalie, elle cause. Tout le temps. Quitte à répéter deux fois la même chose. Elle doit occuper l’espace et les silences.
Je ne sais pas comment appeler ce qui sourd de moi et me laisse exsangue, alors à défaut je dis « énergie », parce que c’est bel et bien ça, c’est l’envie, la patience, la capacité à filtrer et même à me protéger.
Comme chaque fois que je m’effondre lentement, mon cerveau convoque ce qui m’a été le plus sûr refuge toute ma vie : mes romans intérieurs. Je pourrais parler de films puisque je les joue autant que je les regarde, mais je choisis « roman » parce que mon cerveau cause, cause, cause, lui aussi… Y’a des dialogues à n’en plus finir, pas du tout crédibles, et quand il n’y en a pas, la narration prend le relai. Des mots, sans cesse des mots, qui me réconfortent et me bercent autant que ces bras que j’imagine autour de moi et que cette main sur la nuque de M., jamais sur la mienne, moi je suis forte, moi je…
Je ferme les yeux moins pour m’endormir que pour retourner au rêve. Je me blottis dans mes dramas parallèles parce qu’ils me catharsisent – évidemment ils finissent toujours bien. Les émotions y sont paroxysmiques, les vérités étalées en toutes lettres. Je ferais une excellente scénariste de soap, si ceux-ci étaient moins basés sur l’action que sur des monologues, intérieurs ou non, qui révéleraient toute la profondeur des sentiments de leurs protagonistes.
Il reste deux semaines et je ne suis pas en bout de course, pas encore. Certains réflexes, certes récents, ont la vie dure, sans doute parce que forgés dans la nécessité – celle que me remémorent les vertiges. Quand je m’agrippe à mon volant sur la route de Lannion, ou que je chavire ancrée aux mots sur la page que je lis aux cinquièmes, je sais pourquoi je compte les respirations, les coups de brosse et le nombre de verres d’eau ingérés.
Le problème, ce n’est pas de dérailler ni de savoir comment y remédier. Le problème, c’est de trouver la volonté de revenir.
5 commentaires
Navrée, tellement, pour le ratage… je n’ai pas voulu couper les commentaires alors que j’aurais eu besoin, pour que l’expression puisse passer, justement. Sauf que je n’ai aucune idée de qui me lit en dehors de quatre personnes identifiées, dernièrement le lectorat s’est un peu agrandi. J’appréhendais un « not all men », ou une agression comme j’ai eu par le passé sur mon précédent (non, encore précédent) blog qui a tourné au harcèlement sur l’ancien oiseau bleu, suite à un post du même ordre mais qui me concernait directement. Pas la capacité de gérer un dérapage merdique d’égo masculin. Ça n’allait pas plus loin que ça, un mec inconnu à la con qui aurait des choses à dire et moi qui suis toute en épines et trop mal pour gérer.
Ça a tapé sur une de tes failles, j’en suis désolée… tu as toute latitude pour t’exprimer, et toute ma confiance. Je pensais que ça allait de soi. Maintenant que c’est dit s’il y a une autre fois, tu sauras j’espère, ne pas être directement concernée… ? J’ai besoin de pouvoir poser un « faites gaffe » qui signale mon état émotionnel…
Navrée de nouveau, vraiment, si ce commentaire est casse-gueule ou maladroit ou.
Ma foi, tu me vois navrée à mon tour ;)
Je savais, en cliquant sur « publier », que malgré ma tentative d’expliquer que si je l’écrivais, c’était parce que cela avait fait office de déclencheur, d’une réflexion qui avait besoin d’être menée, je savais que le risque était assez grand que tu te sentes visée et coupable. Tu ne l’es pas, et il est évident que tu as le droit, la légitimité d’écrire et de signaler tout ce que tu veux, a fortiori chez toi
Rapport à un certain blogueur dont nous avons parlé, j’ai besoin de ne pas toujours m’exposer sous mon meilleur jour, c’est l’unique raison d’être de ce passage :)
Sans doute que cela n’allait pas de soi pour moi, je me suis souvent cassé la gueule faute d’avoir bien interprété tous les paramètres. Mais, hé, « âme sœur », hein. Il y a des choses que je sais, malgré tout ♥
Tiens, en fait, je l’avais enlevé, ce terme, semble-t-il. J’aurais dû sous-titrer ce billet « journal de lapsus » ;)
♥
Compliqué de se comprendre correctement de blog à blog ^^ j’ai entendu, et ça me rassure (bien que désolée d’avoir déclenché tout ça).
Il y a un truc avec ce blogueur, sa manière de dire les choses entre en ligne de compte, pas seulement ce qu’il relate. Il y a un petit côté « pat pat » ou « je suis formidable l’air de rien t’as vu ». Que tu n’as pas. Pas la peine de te montrer sous un mauvais jour pour compenser ce que tu perçois chez lui par crainte de, ta manière de t’exprimer ne fait pas cet effet. J’espère être claire (pas sûre). On en rediscutera si tu veux, en privé.
– Je serais curieuse de connaître l’interprétation de ce rêve !
– Ah tiens c’est marrant chez moi j’ai la même alarme qui sonne m’enjoignant à effectuer des choses pour ne pas perdre du temps (à ne rien faire ?) mais chez moi, elle s’appelle pas Angoisse, peut-être Pression ?
– Je n’arrive jamais non plus à reproduire des mouvements, de plus je suis toujours à contre-temps, ça me fatigue
– J’adore cet étudiant ! il doit venir du Sud 😅
– Alors concernant les nouvelles habitudes, je dois faire partir de la fourchette haute ^^
– Et je comprends tellement, tellement, cette envie de rester plongée dans les rêves, au plus profond du sommeil, pour vivre ce temps hors du temps qui semble merveilleux, même quand il s’agit de cauchemars. Je pense qu’avoir des habitudes, c’est bien, c’est sain, mais il semble qu’il ne faille pas trop se flageller, si parfois, par flemme, fatigue ou défaillance, on les zappe. Ne pas culpabiliser semble primordial.
– Qu’est-ce qu’il a ce blogeur ? et qui est-il ?! j’ai comme l’impression d’avoir raté un épisode… 🤔