Florilège #10 : entrer dans la nuit
Des films d’horreur (évidemment, mais pas seulement), des livres, de la musique et… bah si, c’est de la musique, mais bref, tu verras.
Films et séries
Empathie ♥♥♥♥
Cette série n’a pu être écrite que par quelqu’un que le sujet bouleversait de près.
Je m’interroge : en quoi moi, me bouleverse-t-elle de près ? De beaucoup trop près. Avec une familiarité et une tristesse qui résonnent, intimement.
En tout cas, c’est une série qui m’a été recommandée par une collègue, une collègue que j’aime beaucoup, et qui m’inspire énormément dans ma vie professionnelle, mais une collègue que je crois parfaitement « normale ». Si je le précise, c’est pour te dire qu’on touche avec cette série à un universel dont la seule mention donne à mes propos une tournure totalement cliché, mais que je pense très difficile à atteindre. J’ai regardé quasiment toute la série en un weekend, j’ai gardé le dernier épisode pour un jour où j’aurais le temps et l’espace en moi pour le faire, et heureusement car j’ai chialé.
Bonus / malus : c’est québécois. Moi j’ai adoré, ça m’a rappelé plein de souvenirs et ils ont un usage de la langue que je trouve aussi exotique qu’inventif, mais il paraît que ça déstabilise.
February ♥♥♥
Beaucoup de mauvaises critiques, donc forcément j’ai adoré. Lent, mais beaucoup moins que I am the pretty thing that lives inside the house (du même réalisateur). Absolument terrifiant à bien des égards de mon point de vue, extrêmement bien joué, et cette fin, là. Ce film prend à contrepied tous les films de possession, et rien que pour ça, il vaut le coup.
Saint Maud ♥♥♥
February n’était pas l’œuvre d’une réalisatrice mais j’ai fait le rapprochement à cause de ses personnages. Intéressant de voir les deux films l’un après l’autre : on pourrait dire qu’en un sens ils ont le même sujet, bien que les deux n’aient strictement rien à voir. Quoi qu’il en soit, l’horreur « au féminin » a bien plus à proposer que les immondices à la Laugier. Est-ce parce que la psyché des femmes déroute plus que celle apparemment bien cartographiée des hommes ? En tout cas, ça donne d’excellents films, contemplatifs et introspectifs, sans jump-scares ni images chocs (apparemment, c’est ce qui en fait de mauvais films pour le petit critique mâle lambda sur AlloCiné…)
Grave ♥
Excellent film pour devenir végétarien, pas sûre de m’en remettre. En revanche, je ne suis pas absolument sûre de ce qu’il me raconte. La révélation à soi-même qu’on a des « appétits », des fantasmes disons, hors-norme, questionnables, bizarres, je connais. Je comprends. Je crois aussi que le film dit que sur ce campus (et je sais, dès qu’ils en ont l’occasion), les humains se comportent comme des animaux, donc Justine et Alex n’en sont finalement que des parangons, pas plus déplaisants que les autres. Mais comme dans Titane il y a ici un vernis pseudo-fantastique, et une « explication » génétique qui me déplaisent, parce que je trouve qu’ils desservent le propos. On est dans quelque chose d’hyper malsain qui ne s’assume pas tout à fait comme tel, qui dit à la fois « c’est normal » et « c’est dérangeant ». Ducourneau a un sacré cran pour faire ça, et je l’admire. J’admire aussi qu’elle parvienne à susciter toutes ces questions. C’est un film qui une fois encore explore la psyché et ses étrangetés par le prisme féminin, et ses implications sont bien plus profondes et complexes que dans bon nombre de films, que dans tous les films gore réunis. Je ne peux pas lui mettre une meilleure note parce que je ne le reverrai jamais, son sujet et son univers me révulsant, mais c’est un film qui interroge, et qui restera bien plus longtemps dans ma mémoire que les autres, je pense. En ce sens, il mériterait de figurer sur mon podium annuel sans hésitation.
Best wishes to all (Mina ni ko are) ♥
Un film absolument terrifiant dans son genre, qui ne peut naître qu’au Japon mais qui résonne partout ailleurs.
Et je me demande. Qu’est-il arrivé à l’humanité pour qu’elle perde le sens, à ce point ? Qu’est-ce qui justifie ces injonctions, et cette terreur à ne pas les mettre en œuvre ?
Nan mais c’était juste horrible, en fait. Juste. Horrible. Ça n’enlève rien aux questions que ça suscite, au contraire.
J’ai enfin regardé la nouvelle saison de Sandman. Du moins, l’épisode 1. Morpheus a l’air encore plus constipé que d’habitude. Jamais vu un acteur essayant autant d’avoir l’air beau et charismatique, sans aucun succès évidemment parce que c’est un des rares trucs qui ne s’essaient pas, en fait. Parler avec une grosse voix grave dépourvue d’intonation n’évoque ni les rêves ni l’élégance – t’as juste l’air d’un mec enrhumé qui n’en a rien à foutre de rien. Je ne parle même pas de ses gestes amples et beaucoup trop lents.
J’ai lancé l’épisode 2. Mon dieu la coiffure et les fringues de Lucifer sont juste ignobles.
Après, c’est intéressant, l’histoire d’un immortel dont les actes ont des conséquences, je suis obligée d’admettre. J’ai vu trois épisodes et après, j’ai oublié que je m’étais lancée là-dedans. À voir si je continue.
Livres et revues
Je n’ai absolument pas eu le courage de rédiger des critiques de mes lectures, mais je peux essayer d’en dire quelques mots. Attention, ici je mets moins de cœurs que d’étoiles sur Babelio (il y en a trop, là-bas !)
Estrange vol.5 ♥♥
Pas tout à fait terminé, en réalité. J’ai trouvé ce numéro peut-être plus éparpillé que les précédents, moins certain de son sujet. C’est peut-être lié à mon propre état d’esprit puisque je me sens assez confuse. Un article m’a paru un peu péremptoire, passant trop vite sur ses prémisses. Reste qu’il faut lire Estrange, vraiment. Selon ma théorie, on n’a pas une mais des âmes sœurs. Elles ne nous sont pas identiques, loin de là, mais elles nous habitent parce qu’elles nous complètent et nous bouleversent. On vibre au diapason. En ce sens, je peux t’affirmer que François Theurel est l’une de mes âmes sœurs :)
Haruki Murakami, traduit par Hélène Morita et Tomoko Oono – Le meurtre du Commandeur ♥♥
Finalement, je reste un peu sur ma faim. J’aurais aimé adorer ce livre, mais je trouve qu’il manque quelque chose, sans doute parce que les événements semblent n’avoir aucune conséquence. La situation finale est à peu de choses près la même que la situation initiale. Le héros lui-même n’est pas capable de dire s’il a appris quelque chose, s’il a changé.
J’aime le côté vaporeux, l’idée que les grandes aventures individuelles s’effacent dans la toile du temps. Mais le point de vue adopté rend cette conclusion un peu caduque.
Il est vrai aussi que la narration est souvent redondante, pour ne pas dire amnésique. La même idée est parfois reformulée deux fois dans le même paragraphe, ce qui est d’autant plus agaçant que le style de Murakami, du moins dans sa traduction, n’est pas particulièrement complexe. C’est un roman où se multiplient les allégories – littéralement, puisqu’elles y ont une existence -, ce qui le rend paradoxalement trop figuratif à mon goût, car l’allégorie n’a pas la légèreté ni la profondeur de la métaphore.
J’ai aimé beaucoup de choses, dans ce livre. Mais si je devais te recommander un Murakami, ce ne serait pas celui-là.
Daphné du Maurier, traduite par Denise Van Moppès – Ma cousine Rachel ♥♥♥♥
Sur Babelio, j’ai mis quatre étoiles et demi. Disons que c’est pour le début, qui souffre peut-être de quelques longueurs, mais à sa décharge, je lisais Murakami en parallèle – je ne sais pas comment je faisais, ado, pour lire plusieurs livres à la fois.
Ce bouquin, c’est du Maurier dans tout son génie. Tu vois, là où je me moquais de Zola parce qu’il se prétend scientifique alors qu’il caricature ? Daphné du Maurier écrit à la première personne, d’un point de vue masculin et, certes je ne suis pas un homme, mais je la trouve limite clairvoyante. Elle comprend, elle sait, elle ressent au plus profond d’elle-même ce que c’est que d’être un homme de son temps, autant qu’elle sait ce qu’est être une femme, alors elle touche juste. Elle n’est pas méprisante, elle n’enjoint pas au jugement, alors même que parfois, elles sont drôles, les pensées de ce narrateur, qui estime par exemple que les femmes agissent par émotion, tandis que les hommes s’appuient sur la raison (ces mêmes hommes qui violentent des femmes parce qu’elles refusent de leur appartenir…)
Ma cousine Rachel est un roman psychologique, qui s’apparenterait à un thriller s’il n’était pas si introspectif. Il m’a fait penser à une version inversée d’Adolphe, de Benjamin Constant, à La Dame aux camélias, aussi. C’est l’histoire de deux personnes qui ne se comprennent pas, et celle de la façon dont on se construit une image des gens. C’est brillant.
Petit bémol : la traductrice fait parfois des calques de l’anglais, très maladroits, dont on se demande comment l’éditeur a pu les laisser passer (par exemple : « combien attristant ! » dont je gage qu’il vient d’une structure en « how+adjectif » qui n’a pas cours en français, de même que « combien sot de moi » –> « how silly of me », j’imagine.)
J’ajoute à cette sélection littéraire les choix poétiques de Béatrice Dalle pour France Culture, parce que, bah, regarde quoi, Genet Giono Artaud Despentes Cobain (dont la lecture de la lettre d’adieu par Elodie Huber est à chialer, pourtant c’est pas d’une poésie dingue hein) et j’en passe.
Musique
BBM m’envoie ça et putain, ça fait du bien, en fait. La rage, elle n’est pas qu’en nous.
Le dernier EP de Covenant est étonnant. Avec une vibe Leonard Cohen sur You want it darker, en version électronique (t’emballe pas hein, c’est pas Leonard Cohen non plus. Une vibe, j’ai dit).
Je ne m’attendais pas du tout à ça de leur part et ai été subjuguée le soir où je l’ai écouté – pas forcément dans un sens positif, le disque accompagnant un peu trop bien les vagues de panique qui me submergeaient.
Je ne suis pas fan du nouvel album d’Imani, trop éloigné des sonorités qui m’émeuvent, mais il s’appelle Women deserve rage et je te le partage pour ça. Parce que cette rage (feutrée et mélodieuse, ici) est salvatrice.
Et comme je n’ai peur ni du ridicule, ni des transitions foireuses (je tiens ça de ma sœur – les transitions foireuses, je veux dire), je terminerai avec une vidéo que ma sœur, justement, m’a envoyée, parce que je ne me lasse pas de rire devant tout ce qui ne va pas, mais pas du tout, dans cette chorégraphie, ces fringues… dans tout, en fait.
Mon dieu, c’est tellement gênant. Et dire que je poste ça un 31 octobre. Je ne suis pas sûre que les esprits apprécient. Si t’as pas de nouvelles de moi demain, viens brûler de la sauge chez moi, s’il te plaît.


7 commentaires
Je repasserait pour la musique mais Grave : j’ai rarement eu une réaction aussi viscérale de rejet au cinéma. J’étais profondément mal toute la séance et j’ai haï ce film de toutes mes forces. Non parce qu’il est mauvais, au contraire – tu le soulignes bien et l’intellectualises bien mieux que moi – mais parce qu’il m’a donné l’impression d’une transgression non consentie de ma sensibilité (là où, bizarrement car bien plus horrible, Les chambres rouges la respectaient). Je ne le reverrai plus jamais non plus, mais je suis reconnaissante d’avoir eu une telle expérience.
Finalement, je me souviens assez peu des Chambres Rouges, mais il me semble que la différence, c’est qu’il ne montre rien. On est obligé de composer avec ce qui hante les personnages et on est confronté à nos propres doutes et angoisses. Grave ne laisse pas le choix et ton idée d’une « transgression non consentie » me parle beaucoup !
J’ai depuis très très longtemps noté Grave dans ma liste. Pas encore eu l’occase et/ou le courage. Empathie, je veux voir aussi, ma psy m’en a parlé. Je ne connais pas les deux autres mais ils me tentent aussi (la liste devient vraiment très longue !!).
Je n’ai pas lu ce Murakami et après réflexion, je ne pense pas le connaître. Mon seul du Maurier, pour l’instant c’est Rebecca, mais malheureusement à la médiathèque, ils n’en ont pas d’autres…
Pour Ma cousine Rachel et si tu as une liseuse, je l’ai en epub que je peux t’envoyer (avec le mail qui attend ah ah)
J’ai une tablette ça fait l’affaire de temps en temps pour les ebooks, c’est un pavé ?
Mais en cas pourquoi pas, merci :-)
Aucun des films cités ne passeront par moi mais j’ai mis de côté Empathie pour plus tard ^^ (il me semble en avoir déjà entendu parler en plus). De même je ne suis pas certaine d’avoir envie de lire Ma cousine Rachel mais je me le suis noté.
Je déteste Béatrice Dalle (urticaire garantie). Mais comme ce n’est pas elle qui lit, ça va bien passer ^^’ (j’ai commencé, j’adore) (ravie d’avoir cliqué malgré sa présence).
Ma cousine Rachel est un roman purement psychologique, dans la lignée de Rebecca, je dirais : Rachel est un personnage qui ne se dessine qu’au travers du regard des autres, le narrateur, son oncle, et ceux qui rapportent les rumeurs. Il demeure une énigme et laisse entrevoir une histoire parallèle.
Béatrice Dalle me fascine et me terrifie. Je l’ai peu vue au cinéma, et mon dernier souvenir d’elle était dans cet épouvantable film de Claire Denis, Trouble Every Day (un autre film de cannibalisme, décidément !) Autant te dire que j’ai pas forcément envie de la revoir :D Mais ses choix poétiques me parlent fort.