Florilège #11 : où le monde s’effondre et renaît
Au téléphone, Eliness me demande « tu n’écris plus, que se passe-t-il ? », mais je ne réalise que le soir devant mon PC qu’effectivement, ça va faire presque un mois que je n’ai rien publié.
Novembre est passé à toute vitesse, comme en 2023, et plus sereinement qu’en 2024, mais ça, c’est manifestement grâce aux petits comprimés magiques qui m’ont été prescrits. Contre toute attente, quelqu’un a vu, et je découvre à quoi ressemble la vie sans Angoisse. C’est… génial.
J’ai craint d’être dépossédée d’une partie de moi, et c’est le cas, mais était-ce une partie que je devais conserver ? Est-ce qu’elle me rendait meilleure ? Je le croyais, et je crois toujours que si Angoisse et moi ne nous étions pas rencontrées, j’aurais été une personne plus dure et moins empathique. Mais je ne suis pas sûre d’avoir encore besoin d’elle. J’aime qui je suis quand elle dort. J’aime l’optimisme qui me donne de l’élan, la confiance et la joie renouvelées quand je retrouve mes élèves.
Une part de moi est assoupie, en ce moment. Ce que je fais de mon mois de Novembre c’est, pour une grande part, chercher des solutions pour l’apaiser quand il faudra la réveiller.
J’ai lu
Le bal des vautours d’Ilaria Tuti ♥♥♥♥ (j’ai rétrogradé Ma cousine Rachel d’une étoile, du coup !)
Je ne savais pas que j’avais raté un volume de la série dont l’héroïne est le commissaire Teresa Battaglia, cela a entraîné quelques questions, mais rien de très gênant. J’étais surtout très heureuse de réaliser qu’il m’en restait deux à dévorer.
Le bal des vautours est un thriller mystique qui s’avère réaliste sans amender sa réflexion sur le sacré. C’est un roman historique, de la prose poétique, un opus crépusculaire au sens le plus littéral puisqu’on y assiste aux derniers moments lucides de Teresa, qu’Alzheimer ronge.
J’avais adoré La Nymphe endormie, et Le bal des vautours ne m’a pas déçue. Ilaria Tuti est érudite, mais surtout elle navigue de l’Histoire aux histoires. Ce n’est pas une bonne métaphore. Elle coud. Elle donne du sens ; je ne veux pas dire qu’elle l’invente, juste qu’elle relie les choses. Le passé, le présent, les individus, le monde, la nature, les villes qu’on y érige. Elle convoque l’immensité et l’éphémère. On se sent à sa place en la lisant. Minuscule et signifiant.
J’ai vu
The Pitt ♥♥♥♥
Découverte chez Ambre que je remercie (mais je ne retrouve pas le lien vers sa page de chroniques ciné/séries), The Pitt m’a traumatisée, ou plutôt a ravivé mes traumatismes et mes angoisses. La série se déroule aux urgences de l’hôpital de Pittsburg. Elle est tournée comme un documentaire, quasiment sans musique. Un épisode correspond à une heure de garde donc son rythme ne laisse aucune possibilité de respirer, d’autant moins que c’est très difficile de ne pas s’enfiler le tout en une seule fois (ça m’a pris deux soirs). On n’est pas là pour sourire devant des fins heureuses, on est là pour se taper la crudité du réel, donc rien ne nous est épargné. On voit du sang (tellement que j’ai failli tourner de l’œil), des viscères, des gens désagréables, des gens qui meurent, des accouchements filmés de face et en gros plan (–> mon traumatisme d’enfance. Là, j’ai coupé l’épisode et suis allée m’allonger !)
C’est précisément pour ça que j’ai adoré cette série. Je n’avais pas envie d’être dorlotée, ce n’est pas pour ça que je choisis un tel programme. Les personnages sont super bien écrits. Santos m’a parfois fait penser à Nate dans Six Feet Under, dans le sens où tu y crois tellement, à sa réalité, qu’elle te rend dingue. T’as envie de la tuer, pas parce qu’elle est conne, mais parce qu’elle est vraie. J’ai échangé plusieurs textos avec Ambre à son sujet. Et même si cette série m’a profondément malmenée puisque je ne supporte pas la vue du sang, ni des tuyaux plantés dans les gens, elle m’a fait du bien, parce que j’en ai marre des trucs aseptisés. Effectivement, les urgences ça ressemble à ça.
(tout ce que j’ai écrit précédemment, ça fait 666 mots exactement et c’est là que j’ai enregistré et suis partie me coucher. Pourtant il n’était pas trois heures du mat’.)
Mom
J’hésite vraiment. J’ai « adoré » la première partie, qui met en scène un de mes pires cauchemars : la maternité.
Le film passe ensuite à un « après » que je ne te décrirais pas, tant pour éviter de te spoiler que pour ne pas te blesser. Et cette suite aussi, elle me parle. Elle fait écho à beaucoup, beaucoup de choses auxquelles j’ai pensé.
Elle est aussi un brin longue et redondante à mon goût. J’aurais préféré que l’accent soit mis sur le début, qui m’aurait, mais pas que moi je crois, davantage interrogée. La suite est plus prévisible et plus moralement admissible, aussi, et c’est un tort, je crois. La suite rétablit, de la pire manière qui soit, certes, un schéma normalisant. Alors même si elle fait appel à quelque chose que j’ai dans les tripes, je lui reproche de privilégier la facilité.
When Evil Lurks ♥♥♥
Assez dingue. Chaque plan est beau, soigné, la lumière est superbe et chaque paysage environne les personnages, sans jamais se vouloir métaphorique. Le scénario est hyper original, on retrouve la patte d’Aterrados dans le sens où il n’y a rien d’hollywoodien, rien de spectaculaire, on est confronté au mal dans ce qu’il a d’insaisissable et d’incompréhensible. Et on ne peut pas y échapper, certainement pas avec des Ave Maria, en tout cas. Comme dans Aterrados, on est dans quelque chose de lovecraftien (je sais pas d’où Shadowz sort sa description, « une monde agricole malade gangréné par un capitalisme inhumain » !)
Je ne mets pas quatre étoiles parce que le héros ne m’a pas touchée, il fait des choix qui m’ont paru idiots et non motivés et je n’ai par conséquent pas réussi à m’y attacher. Quoi qu’il en soit, Demian Rugna devient avec ce film THE réal à suivre en matière d’horreur.
Vicious
C’était pas mal. Le scénario est plutôt original et c’est bien rythmé. J’aime assez le côté cauchemar sans fin et l’absence de grand guignol concernant la chose dans la boîte. Chaque fois que je me suis dit que c’était con, le film m’a prise à revers en acquiesçant : oui, c’était con, c’était pas ça que la boîte voulait, évidemment. Je ne connaissais Bertino que pour The Strangers (apparemment il en a fait une franchise) et il a produit February. Pas un « grand » réalisateur, mais à suivre tout de même, il fait des choix originaux même s’il n’exprime pas de « patte » particulière.
Above the knee ♥♥♥
Par le réalisateur de Good Boy.
Le sujet de ce film était dingue. Dans tous les sens du terme. Je le dis sans connotation négative, bien au contraire.
TW, donc : trouble identitaire de l’intégrité corporelle. Et alors que ça aurait dû me mettre extrêmement mal à l’aise, parce que c’est ce que produit chez moi la vue d’une personne amputée, pour ne pas dire que ça me rend malade, j’ai adoré ce film parce que… quelque chose a résonné. Je ne sais pas quoi exactement. Je ne me suis pas identifiée. Mais c’est comme avec l’autophagie, il y a quelque chose dans le rapport au corps, dans la dissociation d’avec lui, dans la difficulté à l’habiter, qui me « parle ».
Thelma ♥♥♥
C’est l’histoire de gens persuadés de savoir ce qu’est le bien. Ils sont gentils et bien intentionnés. C’est la raison pour laquelle ils détruisent tout, parce qu’ils ne fonctionnent qu’en forçant des carrés dans des ronds.
J’en ai rencontrés plein, des gens comme ça. Mes collègues ces derniers jours. Et je pense à S., qui me disait « J’ai entendu tellement de choses qui m’ont choquée, à Kerbutun. Merde, je l’aimais bien cette personne. » Et c’est exactement ça. Des gens sympas qui, à un moment, nous heurtent à leurs convictions bien ancrées. Estiment qu’on va souffrir, mais pour notre bien, alors ça va. Pour notre bien, parce que leur monde, c’est LE monde, le seul qui vaille la peine d’être traversé.
J’aime ces plans de début et de fin qui montrent d’abord une dépersonnalisation puis un recul.
Maxxxine ♥♥♥♥
Les films de Ti West sont définitivement si étranges, avec tellement de niveaux de lecture que j’en sors perplexe, avec la sensation d’être passée à côté de plein de choses et d’avoir tout saisi en même temps, mais pas de manière intellectuelle. On dirait que David Lynch a fusionné avec Quentin Tarentino.
J’ai écouté
Un nouvel album de Kim Wilde oO. Le « Pensacola Mist Remix » du premier single a tourné et tourne toujours en boucle. Les années 80 au cœur de la nuit, ça me réchauffe toujours de ouf.
Mais mon coup de foudre ce mois-ci, c’est ça :
Je ne te parle pas tant de la musique, même si ce combo darkwave-violon m’enchante autant que les textes en français, que du show. Alors si t’as pas la patience, parce que la musique ou le what-the-fuck du truc te passent au-dessus, clique à 6min14. Cette parade de fantômes désarticulés me fascine et me ravit totalement.
La Bande-Son Imaginaire peut s’avérer un peu répétitive sur la longueur, mais y’a trop de trucs chez eux qui me touchent. La façon dont ils parlent français, leur univers musical et culturel… Je rêverais d’un duo avec Hocico ou Amduscia !
Et pour finir
Cette histoire est géniale (à lire sur France Culture, c’est super court).
Demain, on verra si les petites pilules magiques me permettent de conduire. On part à côté d’Angers, donc en ce qui me concerne, Novembre est terminé !
