Florilège #4 : Nonchaloir
« L’opprimante beauté du Sud, avec son étrange douceur, son nonchaloir, ses parfums qui ravissent le cœur (Green,Journal,1934, p.262. Cité par le CNRTL.)
1er avril
Passé un bout de ma soirée à mettre dans l’ordre les titres d’une playlist best-of Nachtblut (pas dans l’ordre de mes préférences, mais dans celui selon lequel les dernières notes de la chanson appellent les premières de la suivante, la compil’ c’est tout un art que les générations suivantes ont oublié), parce que les copines sont de super pourvoyeuses d’obsession musicale et que quand Ambre en particulier me rappelle un truc que j’adore je l’écoute en boucle pendant des heures, parce que ça me donne l’impression d’être connectée – c’est ma façon de lui rendre hommage parce que le concert de Mylène Farmer, tu vois.
2 avril
Nouvelles du jour : Madonna aperçue à Rennes et le centre-Bretagne vent debout contre l’installation de panneaux bilingues français-breton le long de la N164 (on est en plein pays gallo). C’est pour ça que j’aime la presse régionale : on frissonne, on s’indigne, c’est trépidant ! C’est surtout vachement moins anxiogène, non ?
Il y a aussi, dans le sud, à Montpellier, la folle histoire de l’alligator retrouvé dans le Lez. Les politicards du coin en ont profité pour tailler un costard au maire : il fallait laisser le croco là où il était, puisque c’est son nouvel habitat naturel pour EELV, on porte plainte pour torture chez les animalistes (les forces de l’ordre ont appâté la bête avec un chèvre vivante. Ce qui est drôle c’est que les animalistes aussi prônent le retour de l’alligator dans la rivière. Apparemment quand il mange des ragondins, bien vivants eux aussi, c’est pas grave. La chèvre par contre, intolérable.)
Je découvre ce synonyme de nonchalance et je le trouve incroyable.
Aujourd’hui, je n’ai pensé à rien. On a laissé sortir le chat : on comptait attendre samedi, mais ce matin elle a démontré qu’elle savait transplaner, Ubik l’a retrouvée dehors sans aucune explication logique, alors ça n’avait plus de sens de reporter. J’ai ouvert toutes les portes-fenêtres, enfilé mon sarouel bleu ciel, me suis mise pied nus (dans cet ordre, oui) et j’ai suivi Moya sur la terrasse. Il fait beau depuis cinq jours, mais c’est la première fois qu’on abolit vraiment le seuil.
Je me suis démis le dos dans le canapé de jardin, ça m’a planté une tenaille dans la clavicule droite, qui s’est refermée sous le sein. Je me suis déployée racornie autour de la douleur, elle gravitait déjà dans mes entrailles depuis ce midi et ça m’a rendue bancale. Moya m’a éternué dans le dos alors que je m’étais résignée à son départ vers des horizons plus vastes. Alors qu’elle venait fourrer son museau dans ma main tendue crispée au bout de mon corps prosterné dans la « position de l’enfant », j’ai, enfin, abdiqué, et suis allée m’allonger avec une méditation intitulée « Untangling physical pain » qui consiste principalement à embrasser la douleur.
Juste. Ressentir. Flottant dans le soleil, la jambe droite fléchie davantage que la gauche pour accompagner la bascule autour de la crispation, la soulager un peu. Moya s’est lovée à mes pieds, petit totem aux iris verts, elle a une manière toute féline de te fixer qui persiste sur la rétine même quand t’as les yeux fermés. Et enfin il n’y avait plus rien. Le vent, les oiseaux et la lumière et ce corps que j’essaie d’habiter un peu mieux depuis que j’ai lu Chiaru Shiota le décrire comme l’interface entre l’univers en nous et celui au-dehors.
Ces derniers jours j’ai essayé de briser un accord. Ne rien anticiper. Ne prêter aucune intention. Sortir du film qui joue en permanence dans ma tête : ni dialogues mémoriels ni dialogues prophétiques ; pas de lunettes filtrantes. Un instant après l’autre.
Ça m’est impossible dans le feu de l’action, la pleine conscience disparaît dans l’interaction. Mais dans l’ensemble, c’était réussi. Peut-être parce qu’il faisait beau, peut-être parce que, Ubik l’a noté, je rayonne depuis une semaine. J’ai passé un très bon lundi – et même un très bon dimanche soir, en fait, c’est dire.
4 avril
Spotify me propose ma dose de « scratch modulaire » du soir et je te jure que plus le temps passe plus les titres de ses reco quotidiennes me laissent perplexe.
Le mangeur d’âmes
« Oh flûte, j’avais oublié », se dit-elle en cachant, trop tard, les corps exsangues de ses parents au gosse qu’elle a récupéré dans la cave.
Ah ! Le meurtrier écoute de l’opéra ! Enfin si c’est pas lui, c’est clairement louche.
Depuis le début du film, Ledoyen a dégommé TOUS les témoins et suspects (le dernier a jugé opportun d’enfiler un masque, de le porter trente secondes, et de l’enlever en mode Ulysse face au cyclope : hey, regarde, c’est moi !!)
POURQUOI y’a de la musique (un vieux truc style Luis Mariano) qui s’est déclenché pendant que nos flics fouillent le sanatorium, histoire de les guider au bon endroit ?
Bon, c’est assez haletant, mais vraiment cousu de fil blanc. Pas dans le sens où je le vois venir, mais dans le sens où chaque rebondissement arrive bien timé pour faire avancer une intrigue complètement capillotractée.
Genre après une révélation arrivée à point nommé, Ledoyen fait sortir les enfants en passant…par la fameuse porte rouge, tant qu’à faire, pas en retournant sur ses pas pour les mettre en sécurité. « Oh oui, restez là, les enfants, au milieu du musée des horreurs, nous on a des trucs à régler. » Et puis cette drogue qui force les gens à s’éviscérer en jouissant, qu’est-ce que c’est craignos en plus d’être pas du tout crédible… Elles sont tombée bien bas, Ledoyen et Bonnaire, quand même.
Ce film n’a qu’un intérêt, celui de satisfaire mon appétence pour les intrigues bien dégueulasses.
Les guetteurs
Qu’est-ce qu’il cause, ce mec… Moi aussi je pense à voix haute, mais vraiment, dans ce genre de circonstances ? Pour dire « la nuit tombe dans 22 min, je dois me dépêcher », tout en courant ?
Donc : tous les personnages pensent à voix haute – comme mes élèves de 5e les plus chiants. Et quand l’héroïne se perd en forêt, d’une part elle trouve intelligent de se dire « il doit bien y avoir des gens » et de s’enfoncer dans les bois de toute évidence déserts, et de deux, elle appelle son oiseau Darwin parce que quitte à mourir là elle aime autant lui donner un nom. Je pensais qu’elle faisait preuve d’autodérision parce qu’elle mérite clairement un Darwin Award, mais non.
Elle a l’air grande, quand même, cette forêt qui ne figure sur aucune carte.
Donc : l’oiseau libéré est revenu dans sa cage, parce que…
Le dictaphone n’est pas en bout de bande, parce que…
Personnages secondaires bêtes comme leurs pieds.
C’était bien mignon mais heureusement que la réalisatrice s’appelle Shyamalan, qu’est-ce que c’est plat.
5 avril
Premier jour de vacances, et plaisir presque extatique de l’absence totale d’obligations qui me permet de jouir de la gueule de bois comme d’une convalescence.
Sensation très gratifiante et paradoxale d’avoir réduit en morceaux des brins d’herbe.
En attendant la nuit ♥♥♥
Alors non seulement j’ai adoré d’un bout à l’autre, mais en plus le générique de fin c’est Violet de Hole, et rien que pour ça…
Les acteurs étaient d’une justesse incroyable.
J’ai bien chialé, putain. Gros coup de cœur dont je regrette de ne pouvoir le partager avec personne, là tout de suite. C’est rare que je me dise ça, mais j’aurais aimé ne pas le voir seule.
10 avril
Je ne sais pas pourquoi depuis deux jours je pense à Cécile. Peut-être parce que j’ai évoqué Clémentine dans le billet sur mes lectures d’enfance – c’est la même clique rambolitaine, qui n’était pas encore amies à l’époque. Je n’ai jamais été amie avec Cécile, mais nous nous sommes rapprochées parce que nous étions en première L, ainsi que Clem. Cécile m’a hébergée quand, après notre départ en Bretagne, j’ai voulu revoir tout le monde et passé une heure en term’ L, auprès de la merveilleuse Madame Renaud. C’est chez elle que j’ai fumé mon premier pétard, j’ai rarement été aussi défoncée de ma vie. J’ai fini par la chercher sur Internet, et je suis tombée sur sa musique et notamment cette reprise. J’avais oublié comme elle chantait bien.
Et décidément, vraiment, Aigel.
11 avril
La vie rêvée des anges.
Ce film est glauquissime.
Marie est pathétique. À se croire désirée quand elle est violée, à se prétendre forte quand elle n’est qu’une victime, tout le temps.
Isa est malaisante au possible. « ouais c’est ça, j’suis une grosse conne moi, j’comprends rien », ça la résume super bien. Elle comprend rien. Elle avance dans la vie avec son grand sourire niais, elle se croit bienveillante, alors que c’est une espèce de pantin, souriant certes. Elle est là, au pied de la gamine comateuse dont elle a lu le journal intime, se croyant importante, sans réaliser ce que ça a d’immonde, de squatter sa chambre, d’avoir fouillé dans ses affaires, et de maintenant se considérer comme son espèce d’ange gardien.
Premier épisode de Kaos.
C’est vraiment cool ! Tellement plein de petits détails, en plus. La bague-serpent au doigt d’Eurydice… Cassandre qui ne parvient pas à s’exprimer correctement.
Et je découvre des personnages mythologiques dont je n’ai jamais entendu parler, comme Cénis ou Tyndare.
Le bateau de croisière sur le Styx et la petite musique d’ascenceur, meilleure idée ever.
(il faut faire une séquence de bts là-dessus)
La réécriture me semble, épisode 3, brillante et inventive.
15-16 avril. Voyage en Finistère.
18 avril
Dernier épisode de Kaos ♥♥♥♥. Une saison deux please please please. [Edit : allons bien nous faire foutre.]
24 avril
J’écoute Luna Dusk.
Anniversaire de Mathias… et d’Eli… Et de mon grand-père, qui aurait eu 97 ans. L’occasion d’une petite session de nostalgie des moments non vécus.
Les deux photos ont été prises par mon oncle. Je découvre qu’il a un site web, alors je te file le lien vers sa galerie de portraits, parce que je trouve ceux d’Irene et de Mila sublimes.
Lectures d’avril :
La cité diaphane ♥♥♥
La fortune des Rougon ♥♥♥
Julia et le requin ♥♥♥♥
Trois très belles rencontres, mais Julia et le requin, c’était… wahou.
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« Dans toute sa personne régnait un nonchaloir, qui contrastait avec son maintien énergique (Borel,Champavert,1833, p.41). » Cité par le CNRTL.