Tous les fantômes et tous les rêves
If I just stop and empty out my mind
Of all the ghosts and all the dreams
All I hold to in belief
That all I ever am
Is somehow never quite all I am now
Il y a quelques années, ma sœur m’a demandé (ici même, je crois) si, par hasard, je n’aurais pas peur d’être heureuse. Ce n’était pas le cas, toutefois j’ai laissé la question infuser parce que si elle m’était posée, c’est qu’il y avait un écueil invisible – ou au contraire très visible, mais innomé.
Et j’ai trouvé la réponse, enfin. Elle était déjà en ma possession, je l’avais déjà contemplée, mais je n’avais pas compris. Je la voyais comme un sentiment parasite qui s’infiltrait dans mes méditations et mes tentatives de rituels, sans saisir qu’elle était l’essence même de mon mal être.
Je n’ai pas peur d’être heureuse. J’ai honte d’envisager de l’être.
Quasi toute la littérature dédiée au « développement personnel » (expression déjà crispante) et à la recherche du bonheur s’adresse à des personnes privilégiées, dont je fais partie. Si j’avais été malade ou pauvre, si j’avais passé mes journées à me tordre de douleur, à dépendre d’autrui, ou à vivre non seulement dans le dénuement mais dans la laideur et le bruit, jamais je n’aurais songé à suivre tous les conseils délivrés par toutes ces personnes bien intentionnées. Je leur aurais craché à la gueule, j’aurais voulu les étouffer, avec leurs appels à la bienveillance, à la pleine conscience, au Carpe Diem.
Et de fait, il y a toujours une voix dans ma tête qui le fait, parce que le désespoir, je l’ai eu sous les yeux presque toute ma vie – d’ailleurs, je ne me suis pas autorisée à être malheureuse non plus. Je n’en avais pas le droit : ma mère souffrait atrocement, pas moi.
Je suis donc devenue cette adulte traumatisée, qui n’a plus jamais osé dire « j’ai mal » après l’adolescence (où mes quelques tentatives m’ont appris, justement, que moi je n’avais aucune raison de me plaindre) mais n’a pas su non plus guérir, parce qu’est-ce que ce ne serait pas renier tout ce que je suis, et tout ce que sont ou ont été mes parents ? Et est-ce que j’en ai seulement le droit ? Ça paraît indécent, non, de se pavaner dans la vie avec son confort matériel et sa belle sérénité ?
C’est ce que j’ai toujours pensé. Je n’ai pas su croire ma grand-mère quand elle m’a dit que je n’avais pas à porter la souffrance de mes parents, ni ma psy quand elle m’a dit que je n’étais ni mes parents, ni ce que mon père ou quiconque pensait de moi, et que je devais avancer sur mon propre chemin.
Alors aujourd’hui je pose une autre clef sur la table.
J’ai le droit d’être heureuse.
Maman voudrait que je le sois.
Je le mérite même un peu : si je suis encore debout, c’est aussi grâce à moi.
J’ai de la chance, celle d’avoir les moyens financiers de mes plaisirs, celle d’être entourée de personnes merveilleuses. À qui ça bénéficierait que je ne les savoure pas ? Qu’est-ce que ça changerait au monde, aux choses qui arrivent, que je laisse Angoisse me prendre ?
J’ai le droit d’être heureuse.
Maman voudrait que je le sois.
5 commentaires
<3
[…] sais, quand j’ai écrit Tous les fantômes et tous les rêves, au moment où j’ai tapé « Maman voudrait que je le sois », une chappe immense est […]
Il est parfois tellement complexe d’accepter cette simple chose
C’est vrai…
[…] un collier qu’elles avaient fabriqué elles-mêmes ? Je m’entraîne à ça, même si ça m’a semblé mesquin, parce que ça m’a semblé mesquin : la gratitude. Deux petites filles bientôt grandes […]