Novembre nuit et luit
Espèce de journal décousu.
C’est Novembre. Le 19, déjà, c’est pas si mal. Je tiens debout et tout est toujours à peu près d’équerre. Je relis les billets des deux années précédentes à la même période, il semble que ça soit quelque chose qui s’ancre, les mois de novembre un peu plus doux, un peu moins chaotiques. Le fait d’habiter désormais à côté du collège et du lycée y est pour beaucoup, aussi : troquer une heure de trajet nocturne matin et soir contre dix minutes, c’est pas rien.
Nous sommes nombreux au boulot à nous demander pourquoi ça semble si difficile, cette année. On est rentrés de vacances le 4 et on a déjà l’impression que ça fait un mois. J’imagine que le temps peu clément et l’actualité glaciale n’aident pas et siphonnent l’énergie. Pour ma part, c’est surtout la nuit : le reste, j’ai décidé de m’en foutre.
Ce qui m’accapare, c’est de sécuriser la traversée de l’hiver. C’est de contenir les vertiges qui reviennent par salves ces derniers jours, lancinants, larvés comme des poisons prêts à éclore, une petite mélodie intérieure sans réelles conséquences mais qui me rappelle qu’un jour j’ai perdu pied.
J’ai fait des progrès fous, ces dernières années. Je n’en reviens toujours pas de réaliser ce besoin de reconnaissance, de ce qu’elle a changé pour moi. Il n’y a pas que ça, bien sûr ; il y a huit, peut-être neuf ans de méditation, d’auto-analyse et d’ajustements plus ou moins réussis qui ont abouti à une intersection dont j’ai emprunté les deux directions presque simultanément. L’effondrement d’un côté, et de l’autre, une victoire : je ressasse beaucoup moins. Je peux me coucher sans remâcher les échecs ou les contrariétés de la journée. Je ne voyais qu’eux, je disais que j’en étais responsable, tandis que mes réussites me semblaient des coups de chance.
Mais pourquoi ça serait toujours de ma faute, un ado insolent ? Pourquoi ça pèserait plus sur ma conscience que les deux petites de cinquième qui sont venues m’offrir un collier qu’elles avaient fabriqué elles-mêmes ?
Je m’entraîne à ça, même si ça m’a semblé mesquin, parce que ça m’a semblé mesquin : la gratitude. Deux petites filles bientôt grandes m’ont offert un cadeau parce qu’elles trouvent que je suis « la meilleure prof de français. » Est-ce que ce serait pas leur cracher à la gueule que de mettre ça de côté parce qu’en BTS ils m’ont saoulée ?
Le juste milieu. Je ne suis pas, loin s’en faut, la meilleure prof de français. Je n’en suis pas mauvaise pour autant. Je fais des erreurs, et je peux apprendre d’elles et faire mieux. Je peux me rater et réussir, dans la même journée. Chaque heure, chaque classe et chaque individu sont un recommencement. Ainsi sois je.
*
Mais Novembre, ce n’est pas qu’un mois difficile au travail. C’est la nuit, la pluie – la neige !! – et l’énergie qui décline. J’écris enroulée dans un plaid, chez moi, à une heure où j’aurais dû me trouver devant mes élèves : deux jours que des douleurs abdominales me donnent envie de me rouler par terre, sans que ni spasfon ni doliprane ne me soulagent. Hier j’ai assuré, aujourd’hui je rends les armes.
Colopathie fonctionnelle – ou syndrome de l’intestin irritable. Je n’ai pas de diagnostic officiel mais je suis certaine que c’est ça. Mon père en souffre aussi et aucun examen n’a jamais rien décelé d’autre chez moi. Tous les symptômes concordent. C’est bénin, mais chronique et, je trouve, extrêmement douloureux lors des crises. Et c’est très pénible, parce que c’est difficile d’expliquer à ton employeur que parfois, tu ne vas pas venir travailler, et que non tu ne vas pas aller voir un médecin à chaque fois, parce que c’est comme ça, c’est un mauvais moment à passer, allongée de préférence.
Bon, mais à la base ce que je voulais te dire, c’était pas ça. Ça je l’écris parce que ça me fait du bien, à vrai dire.
Je voulais te parler des trucs que j’ai mis en place cette année pour survivre à l’hiver, parce que si comme moi tu traverses cette longue période au radar, oscillant entre déprime et fatigue, tu y trouveras peut-être matière à réconfort.
Comme on m’a dit plusieurs fois que la manière dont je fonctionne pouvait faire penser à une neuroatypie, quelle qu’elle soit, je me tourne plus volontiers vers les ressources adressées aux personnes neuroatypiques (même si de toute évidence j’en fréquente tellement que je n’y vois strictement rien d’atypique.)
Et donc une des choses auxquelles j’essaie particulièrement de faire attention, c’est à mon énergie. J’ai tendance à considérer le manque d’énergie (chez moi) comme un sentiment plutôt que comme un symptôme physique. C’est… un trop-plein, et une lassitude. Cette année, je cherche moins la compagnie de mes collègues et j’évite ceux qui me plombent pour une raison ou une autre. Quand je peux, je m’octroie des pauses solitaires, et je me détourne des conversations négatives. J’évite aussi complètement les infos, je n’écoute plus qu’Océane et quand j’ai la possibilité de prendre notre nouvelle voiture, je branche mon téléphone pour accéder à Spotify : j’essaie de faire en sorte d’emporter mon cocon avec moi, plutôt que d’envisager chaque sortie comme une confrontation.
Et ça passe aussi par les fringues. J’ai enfin fait une découverte fondamentale bien que littéralement accessoire : les pantalons à taille élastique.
Enfin, je dis « les », j’en possède à l’heure actuelle un seul de mettable au boulot, les autres sont des leggins ou des joggins importables en public au taf donc (ça fait deux ou trois ans je crois que je ne me préoccupe absolument plus d’être sortable en dehors du lycée si je n’en ai pas envie.)
Mais si je t’en parle, c’est que vraiment c’est une révélation.
Je supporte de moins en moins bien de me sentir contrainte ou mal fagotée. Ou alors j’ai toujours détesté mais je suis à un point de ma vie où j’ai le recul nécessaire pour m’en rendre compte. Je ne sais pas. Quand je rentre chez moi, la première chose que je fais, c’est de me débarrasser de mon soutien-gorge et de mon futal. Le premier me comprime, le second soit m’écrase aussi, soit glisse, soit – le comble -, fait les deux.
Mais bref, épiphanie, si je suis si bien dans mes joggins c’est parce qu’ils ont la taille élastique, et oui, si le pantalon que j’ai acheté me serre toujours trop lors de mes fameuses crises abdominales (mais tout te serre quand t’es ballonné), c’est juste devenu le must absolu de ma garde-robe, en l’espace de quelques jours.
J’en ai profité pour enfin m’acheter un manteau d’hiver qui me convienne : un qui descende en-dessous des fesses, chaud et molletonné, serré aux poignets (j’ai besoin d’avoir les poignets ceinturés, d’où ma collection de mitaines) ainsi que deux pulls – longs, eux aussi. L’un est moche (et il s’avère qu’il gratte, tant pis), mais il est parfait, large, réconfortant et CHAUD. Manteaux comme pulls, je vivais sur des choses acquises il y a parfois plus de dix ans, parce qu’ils me rappelaient des souvenirs, souvent. Mais je m’y sentais empruntée.
Ajoute les désormais indispensables chaussettes à orteils (chaussettes de nuit, dois-je préciser en me remémorant l’air effaré de mes amis quand je leur ai avoué que oui, je dors en chaussettes), et t’as une panoplie spéciale cocooning. J’ai conscience de parler achats-achats-achats comme si le consumérisme réglait tous tes problèmes. Je voulais surtout souligner le besoin de se connaître AVANT d’acheter quoi que ce soit.
Franck, le mari de ma sœur, travaille dans un établissement qui accueille des personnes lourdement handicapées. Le personnel a aménagé, si j’ai bien compris, une salle spéciale, qui permet de stimuler les sens ou au contraire de les apaiser. Franck a essayé d’en reproduire l’installation chez lui, et m’a filé la liste d’objets qui lui étaient devenus pourvoyeurs de réconfort – et que ma sœur valide également.
J’ai zappé la lampe qui projette des reflets d’eau, comme si on était soi-même à l’intérieur d’un aquarium, car je trouve ça plus angoissant qu’autre chose. En revanche, celle qui fait apparaitre des aurores boréales sur mon plafond… Elle me ravit tellement que je la trimballe d’une pièce à l’autre. Le soir, je vais me coucher un peu plus tôt que prévu, juste pour avoir le temps d’en contempler les couleurs diaprées – le rouge et le bleu sont d’une profondeur qui me bouleverse, vraiment. J’y ai adjoint la petite enceinte bluetooth qui diffuse des sons (même si théoriquement la lampe le fait aussi, j’ai même pas essayé encore). L’enceinte propose des bruits blancs et des sons de ventilateur, ça me laisse perplexe, mais aussi des sons « de nature », et en ce moment c’est le crépitement du feu qui accompagne mes endormissements. Par défaut, elle s’éteint au bout d’une demi-heure, mais ça peut monter à deux heures, je crois.
Enfin, j’ai commandé une couverture lestée, mais elle doit arriver… entre décembre et mars oO Je ne suis même pas sûre qu’elle me parvienne un jour, mais si c’est le cas, je te dirai.
*
La clef dans tout ça, c’est la lumière. En guirlande sur mon bureau, en boucles dans la musique, serrée sous la cage thoracique, j’essaie de l’entretenir. Le pires jours sont toujours à venir, Décembre m’effondrera à coup sûr, mais cette année je ne ferai pas la liste des pourquoi, parce que j’ai l’intention de traverser à gué.
6 commentaires
Le réconfort c’est la clef de voûte émotionnelle de l’hiver. Et ton article m’amuse beaucoup parce que :
– J’allume l’aurore boréale dans notre chambre tous les soirs en préparant mon coucher
– je doute qu’il lise ton blog aussi je peux l’écrire ici : j’offre une couverture lestée à K pour Noël (ça fait des années qu’il m’en parle avec une curiosité un peu obsédée sans jamais se lancer)
Le thé, les couvertures, les guirlandes, les grosses écharpes et bonnes bottes, les bougies, les chaussons-chaussettes moumoutés (<3) la musique douce… le ré-con-fort !
Yes, j’essaie d’apprendre ça !
Et deux réflexions supplémentaires en repensant à ton article ce soir :
– Atoms est un album doudou parfait pour l’hiver
– Pour l’IBD, peut-être qu’un médecin specialisé peut tout de même t’aider d’un point de vue adaptation alimentaire si ça peut alléger certains symptômes ? J’ai souvenir d’une référence a des aliments FODMAP qu’il faudrait de préférence éviter, mais je ne m’y connais pas plus hélas et je soupçonne qu’une telle adaptation alimentaire est très personnelle et faite d’essais et d’erreurs… Plein de courage <3
– Pour Atoms : C’est tout à fait juste :)
– IBD je peux encore deviner via le contexte, mais FODMAP je sèche (et oui je sais je te réponds sur Internet donc je sais où chercher ;D)
En vrac parce que pas en capacité de mieux
. Acwl oh punaise les souvenirs (20 ans ?), plaisir de réentendre
. Spasfon, le médicament le plus inutile au monde pourtant prescrit pour les douleurs spasmodiques
. Tu dors en chaussettes Oo
. Thé couverture livre chat et pâtisserie <3
– Oui alors le chat j’aimerais bien hein ;) Pour bientôt, j’espère ♥ Et pour la pâtisserie, j’avoue être plutôt bec salé !
– OUI JE DORS EN CHAUSSETTES, mais ce sont des chaussettes À ORTEILS, vous n’écoutez rien :D
– Je sais que le spasfon est critiqué (et effectivement c’était LE truc qu’on te filait à l’infirmerie dans ma jeunesse, comme si c’était un bonbon, ce qui semble confirmer que ça sert à rien :P) Ceci dit d’habitude sur les crampes intestinales je trouve ça pas mal, c’est peut-être un effet placebo.
– Oh ! Tu connais ACLWL aussi ?!! Je ne connaissais que À l’absent mais j’aimais beaucoup, et là Spotify m’a sorti cet album de nulle-part, et j’ai a-do-ré !