Les songe-creux – Bilan 2022
Mois d’ombre et d’ambivalence, ombilic des nuances mélancoliques, au long de décembre s’égrainent les mélodies des temps passés.
Dixième mois, premier jour.
Le givre claque ses élytres, tout près de mes fenêtres.
On entre en hiver, ou c’est lui qui nous pénètre, à pas feutrés qui nous transissent – nous trahissent. Ça frémit dans nos anfractuosités, on s’effondre et on rit, ça crépite sur nos failles enluminées.
Je nous ai vues enjoliver nos engelures, à défaut de vouloir imaginer nos glaces fendillées et ce qui pouvait bien pousser dans les fissures.
Fractales (8)
Arcane 1 : Trahison, traduction, transition.
Mon corps révèle ma faiblesse. Mon corps est ma faiblesse. Mon corps va faiblir. Mon corps ne me convient pas, ne m’exprime pas et meurt.
Arcane 2 : kan ar douad, kan ar mor.
La terre sous mes pieds, la mer sous les paupières, dans les mains, sur la langue.
Arcane 0 : le fol et la lie.
Amis, amant, faux libre arbitre et liens indéfectibles.
Arcane 3 : le phare.
Gare aux Naufrageurs !
Arcane 4 : Makka et le Commandeur.
Fureur, en cramoisi, pliera-t-elle devant le patriarche ?
Arcane 5 : deuil.
De n’avoir pas été celle que j’espérais, d’avoir regardé se dissoudre des possibles, d’avoir perdu au change.
Arcane 6 : les petits poisons.
Élixirs de jouvence !
Arcane 7 : mots d’elles.
Qu’il s’agisse de Kalys, de Fureur ou d’Angoisse, faut-il les entendre ?
Arcane 8 : Infinitus.
Des inachevés, des boucles dont on ignore la fin et le commencement parce qu’on a perdu le fil, des cauchemars qu’on a érigés en souverains, et de l’éternel qui nous broie.
Même le roseau finit par rompre
So you face it with a smile.
There is no need to cry
For a trifle’s more than this.
Il y en a eu, des aubes, et des nuits pour les badigeonner de pluie et d’étoiles, c’est vrai. Des kilomètres parcourus sur un asphalte de plus en plus cabossé, de plus en plus trompeur. Avant, on ne savait pas où aller, maintenant on agrippe le volant en priant faites que ce soit la bonne direction, est-ce qu’on sait au moins ce qu’on fait ?
On a ployé, un petit peu plus chaque jour parfois, on s’est brisées mais aussi ressoudées (on est résilientes), et on a continué de grandir autour de ces échardes qui faisaient des angles bizarres le long de notre épine dorsale. Une histoire de piquants, cette affaire.
2022 c’était l’année des songes engloutis qui ne le sont plus tant que ça. En décembre dernier, j’écoutais Indochine et aujourd’hui, j’achève ma lecture du très beau livre que leur a consacré Rafaelle Hirsch-Doran. Indo, c’est surtout la deuxième partie de ma vie, en trois albums dont chacun aura accompagné une traversée. M’y plonger en décembre n’a rien d’un hasard, c’est comme regarder une vieille cassette vidéo avec des enregistrements qui vibrayonnent – vibrent et rayonnent, quoique les couleurs ne rendent pas justice au souvenir.
Spirales
Janvier un bilan que je n’aime pas et le premier jet d’un article consacré à Saez,
Février, Buffy et une reprise d’Enjoy the silence,
En Mars les griffes de la nuit se rappellent à moi (et j’écris un brouillon relatif aux Chevaliers du Zodiac),
Avril la déroute,
En Mai j’écoute Elsa, et Tes états d’âme Éric,
Juin c’est la saison des citrouilles et des souvenirs qui attendent sur le pas de la porte,
Juillet les rêves enfuis le visage hors le sable,
Août les textes inachevés, le 22 et les vacances à Rambouillet,
En septembre plonger dans ma non-histoire et vivre quelques fins du monde,
Octobre je tente de parler d’Enya, et trouve la bobine abandonnée de mon propre film,
En novembre je dessine mes rêves et Eliness cite les Moomins.
En décembre, brasser tout ça, assaisonner d’aromatiques propres au souvenir (thym, ciboulette et plumes de mésange), et laisser infuser pour une fin d’année entre épuisement et mysticisme.
Oublier le calendrier scolaire et se plier au calendrier civil, c’est reconnaître que le boulot n’est pas la vie, du moins pas toute la vie. L’année prochaine, faire comme Maloriel et fermer le livre au moment opportun. Oublier le calendrier civil, c’est s’accepter.
LALALALALALALALALA !
et se revivre sans jamais se survivre
parce qu’il n’est pas question de se renier.
Trouver des clefs et fermer des portes, ce n’est pas très difficile. Résister à l’envie de les déverrouiller, que les esprits y tambourinent ou pas, c’est parfois plus compliqué. Quelquefois c’est la nostalgie, et quelquefois ce sont des gens qui reviennent, et alors qui incarner et qui sont-ils maintenant ?
Qu’être face à soi-même ? Qu’est-ce qui relève de la suffisance, de l’empathie, de l’autofiction ou de la projection ?
En cendres ravivées, en blessures refermées, 2022 m’apparaît curieusement comme une bonne année, l’une des meilleures de ma vie d’adulte. Une de celles où le fil n’était pas si coupant, et où le balancier ne pesait pas si lourd.
Il y a beaucoup de gens qui cohabitent à l’intérieur de moi, comme en chacun de nous je crois, et il me semble que jusqu’ici presque tout le monde a reçu sa part d’attention. J’ai cru Monsieur Doute, j’ai nourri Angoisse, je me suis agenouillée devant Fureur. La seule qu’on ait refusé d’écouter, c’est Nath… Écartelée entre la violence qui m’est propre, l’envie de créer et l’aspiration au calme, j’ai toujours prêté l’oreille à mes Erinyes, et cru qu’elles ne deviendraient bienveillantes qu’à force de résignation.
Mais force m’est de constater que vouloir écrire n’a pas fait de moi une écrivaine, pas plus que me rêver méditante ne m’a transformée en personne sobre. Et pour cause : il y avait en moi trop de colère et de tristesse. Espérer accomplir quoi que ce soit en dépit de leur présence, c’était me leurrer, pire, me mentir, sans doute. Ce que je voulais par-dessus tout, c’était guérir.
C’est pour ça que le mot que j’avais choisi en janvier, c’était « épouser ».
Alors 2022 a été l’année où, autant que je m’en suis senti capable, je me suis laissée glisser. Parce que finalement, je me suis rendu compte que ce qui m’avait fait le plus mal au fil des ans, c’était de me battre, tout le temps. Contre mes émotions, contre les fantômes, contre moi en fait, moi qui n’étais jamais assez ou toujours trop.
Je ne sais pas si j’ai été une belle personne. J’ai essayé. Je n’ai pas été créative, j’ai beaucoup lu, j’ai moins rêvé que d’ordinaire, j’ai failli, je me suis rattrapée parfois, j’ai pleuré, j’ai eu des fous rires, j’ai été de mauvais poil, je m’en suis voulu, j’ai ouvert les bras sous la pluie, je me suis pelotonnée dans mon lit pour fuir la tempête, j’ai fait preuve de patience et je me suis emportée, j’ai écouté les mêmes musiques en boucle, j’ai accompli des quêtes vidéoludiques que j’avais déjà achevées vingt fois, je n’ai manqué aucun cours, j’ai eu peur, j’ai douté, j’ai obtenu quelques réussites que j’oublie trop vite, j’ai crié et me suis excusée, j’ai marché au bord de l’eau, bu plus de bières que je ne saurais l’avouer, avalé trop de cafés, je me suis prise pour Ronya dans la forêt, j’ai reçu des messages comme venus d’outre-tombe, celle d’une fille que je n’étais plus, j’ai été toutes les « moi » à la fois, et j’ai suivi chacune d’entre elles pour voir où elles me mèneraient.
J’ai fait de mon mieux. Franchement, j’ai fait de mon mieux.
Avancer au futur antérieur
Je ne veux plus devenir quelqu’un d’autre. Il n’est pas encore l’heure de choisir le verbe qui orientera 2023, mais à l’orée du gouffre où il faudra sauter, j’aimerais empaqueter mon bardas et me reposer : j’emporterai tout de l’autre côté.
Je ne crois pas que ça pèsera trop lourd, ça fera partie de moi et puis c’est tout, et de toute façon j’ai assez de carburant pour remonter la pente. À ma mort peut-être il faudra tout déposer et dresser des autels. En attendant, j’aurai été et j’aurai vécu.
Et se souvenir au plus-que-parfait
Trouver des clefs et fermer des portes, ce n’est pas très difficile. En tout cas, c’est ce que je n’ai cessé de me faire croire, et puis en fait il y a toujours un souvenir dans ton dos qui d’une pichenette te fait basculer dans le grenier.
Épouser, ça voulait aussi dire danser avec des démons ; j’aurais d’ailleurs dû le savoir. Il ne suffit pas d’avoir conscience de leur présence et de leur parler à travers une porte. Il ne s’agit pas non plus de les affronter, ni de leur céder. « Seulement » de les libérer.
Des amulettes plutôt que des allumettes
Tout ça pour dire que je vais essayer d’arrêter de brûler des trucs. Si t’as des conseils, je suis preneuse : je ne sais pas douter sans tout casser.
Pour l’année prochaine, j’aimerais :
– employer ma foutue persévérance à autre chose qu’à (me ?) survivre
– valider mon stage, ça serait bien
– être reposée, bordel, j’en peux plus d’être malade, deux mois que ça dure
– être un peu fière de moi
… Tu sais quoi, c’est déjà pas mal. Ça sert à rien d’être ambitieux quand de base t’es une loque. Parce qu’en fait, je suis ce genre de personne qui se fixe des objectifs inaccessibles, ce qui est très triste et très pratique à la fois. En effet, comme ça tu peux ne rien faire (ça sert à rien d’essayer puisque c’est inatteignable) et tu peux aussi pleurer parce que t’as pas réussi.
Donc, cette année, je ne vais faire que des petits trucs.
Je n’ai pas encore trouvé le verbe qui… étaierait ? Guiderait ? 2023, sans doute parce qu’ « épouser » m’occupera toute ma vie. J’ai bien « croire », « être » et « ajuster » sous la langue, mais rien de convaincant – sauf « croire », peut-être. À laisser infuser.
Assembler des nuées
Les histoires, c’est ce qui m’a permis de tenir debout toutes ces années. Celles qu’on se raconte, celles qu’on croit entendre dans les mots d’autrui, celles qui nous guident et nous transforment. Elles sont partout : dans nos chansons préférées, dans les tableaux qui nous font détourner le regard, dans les films qui n’appartiennent qu’à nous (n’est-ce pas Eli ? ;)) et parfois dans les romans. Je sais aujourd’hui que les mots m’importent trop pour que je me montre conciliante à l’égard de ceux qui les manient avec arrogance ou au contraire avec prudence ; c’est pourquoi je ne saurais écrire moi-même. Il vaut sans doute mieux être touché de plein fouet que tenir la plume et se demander si on a accompli ce qu’on essayait de faire. Je ne sais pas, sincèrement.
Je vais essayer de raconter mes histoires. Ça prendra la forme que ça prendra – il n’y aura pas de roman. Avec mes mots, ma syntaxe et mes rythmes inégaux. J’ai fait le tour, j’en ai marre d’avoir honte de mes lacunes. J’écrirai – autant que faire se peut, c’est-à-dire avec modestie – comme une sorcière qui trace des glyphes.
6 commentaires
Continue, continue d’écrire, j’ai A-DO-RÉ te lire.
♥
J’aimerais, à défaut de t’avoir en face de moi, qu’un smiley puisse traduire mon sourire, qui lui-même trahirait mon émotion. Merci :) ♥
S’accepter est peut-être le mot-clé pour 2023 ?
Je te souhaite de (très) belles choses et de continuer à écrire, ça fait une bonne base pour devenir soi-même.
p.s : le 1er jet de ton article sur Saez a été publié ?
S’accepter est peut-être le mot-clé pour 2023 ?
Finalement, c’en sera un autre ;)
Merci, merci Zofia ! Quel bonheur de compter des lecteurs comme toi :)
Et non, mon article sur Saez n’est pas (encore) publié. Difficile à écrire car plus il y a de résonnances intimes, plus c’est difficile pour moi d’écrire bien :)
Merci, je suis vraiment ravie d’avoir découvert ton blog et tes mots.
Hâte de le lire car Saez a aussi beaucoup de résonances pour moi…
Hâte de découvrir tes propres résonnances aussi, du coup :) J’essaierai de le finaliser dans les prochains mois !